Le Corps et l'Âme, de Donatello à Michel-Ange

Tullio Lombardo, Bacchus et Ariane, Kunsthistorisches Museum
Tullio Lombardo, Bacchus et Ariane, Kunsthistorisches Museum - © Kunsthistorischesmuseum, Vienne
Tullio Lombardo, Bacchus et Ariane, Kunsthistorisches Museum - © Kunsthistorischesmuseum, Vienne
Tullio Lombardo, Bacchus et Ariane, Kunsthistorisches Museum - © Kunsthistorischesmuseum, Vienne
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L'exposition "Le Corps et l'Âme, de Donatello à Michel-Ange" au musée du Louvre avait ouvert ses portes le 22 octobre dernier. Retour sur cette exposition avec Marc Bormand, conservateur en chef au département des sculptures au Louvre, et Philippe Morel, professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne.

Avec
  • Marc Bormand conservateur en chef au département des Sculptures du musée du Louvre .
  • Philippe Morel Professeur d'histoire de l'art à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il dirige le Centre d'histoire de l'art de la Renaissance

Nous sommes en Europe, au coeur du XVème siècle, alors que l’Italie brillante et créatrice excelle dans tous les arts et se délecte de diverses voluptés. L’Italie en même temps s’inquiète de la progression des Ottomans, caractérisée par la prise de Constantinople en 1453. Épuisée par des luttes incessantes entre ces principautés, prête à subir la gourmandise des Français et à devenir la proie de l’Espagne, l’Italie décide enfin de faire la paix entre ses cités. Ce sera l’indispensable et fragile paix de Lodi en 1454 : elle stabilise en effet les grandes cités, Florence, Milan, Rome, Venise, Naples et les plus petites Sienne et Mantoue.

Deux événements transforment les arts à cette époque. L’essor de l’humanisme, nouvelle éthique, nouveaux savoirs, nouvel exercice de l’âme et de l’esprit qui transforment l’oeuvre des artistes et les intentions des gouvernants. Et puis dans le même sillage les chefs-d’oeuvre de l’antiquité et leur redécouverte. Ce nouveau paysage, favorable à l’éclosion des génies, est dans sa période bordée par deux géants. Deux géants parmi beaucoup d’autres, Donatello qui revient à Florence en 1453 et Michel-Ange dont les oeuvres transforment le début du XVIème siècle.

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L’exploration pendant cette période d’une profondeur des émotions, des passions et des aspirations de l’âme, de la psyché peut-on dire, et l’expression de celle-ci dans les mouvements du corps est alors le grand sujet des artistes.

Une exposition absolument exceptionnelle vient d’ouvrir et de refermer pour quelques semaines, qui explore ce grand thème, c’est « le Corps et l’Âme, de Donatello à Michel-Ange, sculpture italienne de la Renaissance », qui s’organise autour de trois sujets : la grâce, la fureur et le sacré. 

Musée du Louvre, exposition Le Corps et l'Âme. De Donatello à Michel-Ange
Musée du Louvre, exposition Le Corps et l'Âme. De Donatello à Michel-Ange
- Maëlys Feunteun

Pour explorer cette exposition Jean de Loisy s'entretient avec Marc Bormand, co-commissaire de l'exposition et conservateur général au département des sculptures au Louvre, et Philippe Morel, professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne où il dirige le Centre d'histoire de l'art de la Renaissance. 

Si la sculpture a un rôle très important, on ne peut pas penser les arts de manière séparée : de nombreux artistes sont à la fois peintres, sculpteurs, architectes ... Dans l'exposition, par exemple, on présente plusieurs oeuvres du grand artiste siennois Francesco di Giorgio Martini. C’est à la fois un sculpteur, un peintre, un ingénieur, un architecte. Ces gens ont une connaissance globale des choses. Marc Bormand

Francesco di Giorgio Martini, "La flagellation du Christ", Pérouse galerie nationale de l’Ombrie
Francesco di Giorgio Martini, "La flagellation du Christ", Pérouse galerie nationale de l’Ombrie
- © Pérouse_Galleria Nazionale dell Umbria

Il y a des séries de ruptures dans l’oeuvre de Donatello. À partir des années 1440 - 1450, à la fin de sa vie, il développe une sorte d’expressionnisme tout à fait étonnant, pour pouvoir exprimer les émotions de l’âme, du corps. (…) Il apporte une véritable nouveauté qui va avoir une influence majeure à Florence et à Padoue, où il travaille au milieu du siècle. Marc Bormand

Donatello fait partie de ces artistes qui sont des maîtres de la nouvelle invention à la Renaissance, qui est la perspective. Cette création, liée à Brunelleschi, liée à Alberti, Donatello arrive à la maîtriser totalement dans une technique qu’il a inventée qu’on appelle le « stiacciato » : le très bas relief, dans lequel il excelle et qui lui permet de rendre l’espace, de rendre le positionnement des figures dans un espace complètement maîtrisé. Marc Bormand

Le rapport à l’antique est continu pendant le Moyen-Âge, en tout cas à partir du XIème ou XIIème siècle. Avec Donatello ce rapport à l’antique devient beaucoup plus déterminant, réfléchi. C’était un véritable spécialiste de la sculpture antique, qu’il allait examiner sur place à Rome, à Pise et ailleurs. Philippe Morel

Le relief des Sacrifiants est un relief important qui était bien connu au XVème siècle, où on peut reconnaître la matrice principale de ce qu’Aby Warburg appelait la "figure de la ninfa", cette figure féminine qui véritablement est une réincarnation de l’art antique, qui se prête à toute une variété de personnages, tous marqués par un même mouvement. Le mouvement et l’expression des sentiments est ce qui ressort de l’art sculptural de cet époque. Philippe Morel

Musée du Louvre, Exposition Le Corps et l'Âme. De Donatello à Michel-Ange
Musée du Louvre, Exposition Le Corps et l'Âme. De Donatello à Michel-Ange
- Maëlys Feunteun

C’est un moment où un certain nombre de grands textes artistiques sont écrits, en particulier l’ensemble des textes théoriques du grand humaniste Alberti, lui-même architecte, artiste, créateur, mais qui écrit à la fois sur l’art de bâtir, de la sculpture, de la peinture. Encore aujourd’hui on peut plaquer la lecture de ces textes sur un certain nombre de ces oeuvres créées à l’époque : notamment un très beau relief de Donatello, "Le festin d’Hérode", qui est véritablement une sorte d’illustration de certains textes d'Alberti sur les mouvements de la figure humaine. Marc Bormand

Ce qu’on a voulu dans l’exposition c’est montrer non pas uniquement l’art florentin, mais aussi ce qui s’est passé dans d’autres lieux (…) Le traitement du drapé, cette légèreté donnée aux figures est traitée d’une  certaine manière à Florence et d’une autre manière dans le Nord de l’Italie en Lombardie, en s’appuyant sur d’autres traditions locales : on a un langage général qui est celui de la Renaissance, et des interprétations différentes selon les régions. Marc Bormand

Le naturalisme fait partie de cette manière de rendre les sentiments très profondément. La sculpture en général on l’imagine - et c’est l’héritage de Michel-Ange - comme quelque chose de blanc, monochrome. En réalité jusqu’au début du XVIème siècle une bonne partie de la sculpture créée en Italie est colorée, polychromée : ça permet de rendre des accents tout à fait étonnants dans le domaine des émotions. Marc Bormand

Giovanni Angelo Del Maino, "Déploration du Christ", vers 1515-20
Giovanni Angelo Del Maino, "Déploration du Christ", vers 1515-20
- © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais Lucian

Ce qu’on peut mettre en valeur c’est l’impact de la philosophie néo-platonicienne et notamment autour du thème de l’amour (…) Dans le "Bacchus et Ariane" de Tullio Lombardo, on peut reconnaître le double portrait idéalisé sous une apparence mythologique. Je serais tenté d’y voir une interprétation du thème de la conversion de l’amant en l’aimé, et réciproquement, selon une formule précisément néo-platonicienne développée par Leon Ebreo : le regard des deux personnages convergent dans la même direction vers le haut, qui suggère l’idée d’une élévation, d’une sublimation des sentiments, conforme à l’approche néo-platonicienne de l’amour qui valorise l’amour céleste, spirituel et contemplatif, plutôt qu’un amour plus profane, plus animal. Philippe Morel

Textes

De Pictura, Leon Battista Alberti, 1435

Lus par Emmanuel Lemire

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