Les peintures et aquarelles de Turner

La Visite de la Tombe de J. M. W. Turner (1775 – 1851), exposé en 1850, huile sur toile, Tate
La Visite de la Tombe de J. M. W. Turner (1775 – 1851), exposé en 1850, huile sur toile, Tate - © Tate
La Visite de la Tombe de J. M. W. Turner (1775 – 1851), exposé en 1850, huile sur toile, Tate - © Tate
La Visite de la Tombe de J. M. W. Turner (1775 – 1851), exposé en 1850, huile sur toile, Tate - © Tate
Publicité

Le musée Jacquemart-André présente une rétrospective du peintre William Turner. Incontestablement le plus grand représentant de l’âge d’or de l’aquarelle anglaise, il en exploita les effets de lumière et de transparence sur les paysages anglais ou les lagunes vénitiennes.

Avec

Il fallait une fois encore célébrer Turner, cet artiste qui donna à la peinture une responsabilité nouvelle. Non pas celle de représenter les actions humaines dans leur solitude, comme si l'histoire des hommes déterminait l'histoire du monde, ni même celle de décrire la subtilité du jeu silencieux des objets, mais plutôt celle du paysage, le paysage appréhendé par le grand peintre, comme la scène où se joue le drame perpétuel des forces en conflit.

Joseph Mallord Wiliam Turner qui surgit à 15 ans, élève précoce de la Royal Academy de Londres en 1789, au moment même où le vent des révolutions se lève, au moment où les artistes immenses que sont David, Füssli, Blake et bientôt Goya, Friedrich, deviennent les tragédiens de la peinture. Mais le Turner que nous suivons aujourd'hui, de ses premiers paysages qui célèbrent les colossales architectures de l'Angleterre médiévale, aux colorations délicates de Venise, est le voyageur insatiable. Celui qui, rassuré par une gloire précoce, s'enfonce dans le désir de la peinture débordant peu à peu toutes les conventions. Celui qui voyage en Angleterre, en France, en Suisse, en Autriche, en Italie, et ailleurs encore, célèbre les grands acteurs de la nature : soleil, vent, pluie, glace, feu, vagues, tempête, ou simples reflets sur une eau calme.

Publicité

En étant libre et insatiable, curieux du monde, il ensemence les siècles qui viennent. Le romantisme de Delacroix et les peintures sombres de Victor Hugo ; Pissarro, qui rappellera volontiers que les impressionnistes sont ses débiteurs, et on aurait pu dire aussi bien sûr l'abstraction.

Une exposition nous invite à reprendre ce parcours étonnant en retenant pour notre curiosité non pas les grandes œuvres historiques simplement évoquées en contrepoint, mais celles que, pour la plupart, il fit pour lui-même, nous permettant de le suivre dans l'intimité de ses recherches. C'est l'exposition Turner, peintures et aquarelles, collection de la Tate au musée Jacquemart-André.

Avec Pierre Curie, conservateur du musée Jacquemart-André et co-commissaire de l'exposition.

Un peintre précoce

Très vite, les talents du jeune Turner sont repérés et il travaille pour des cabinets d'architectes. Il se forme en parallèle à la Royal Academy, où il entre comme élève dès l'âge de 13 ans. À 14-15 ans, il sera déjà parfaitement maître de son médium, qui est surtout le dessin. Il se fait une sorte de spécialité de la perspective. Il deviendra d'ailleurs plus tard professeur de perspective à la Royal Academy. (...) La Royal Academy de Londres, c'est une institution qui est parrainée, chapeautée par le Roi, qui va établir les règles du bon goût à travers les expositions qu'elle propose et par la promotion des artistes. C'est à la fois une école des Beaux-Arts mais aussi une sorte de ministère de la Culture pour l'Angleterre. Turner est parvenu, grâce à sa carrière officielle, à bien gagner sa vie. Il a souvent exposé, il était acheté, fréquemment recherché comme artiste. Il a aussi beaucoup travaillé pour l'édition, en pleine évolution à ce moment-là. On commence à vraiment savoir reproduire les œuvres d'art par la gravure, par des nouveaux procédés, de façon presque industrielle. C'est un artiste connu et reconnu de son temps.

La figure de l'artiste voyageur

C'est une époque, après les guerres napoléoniennes, où l'Europe s'ouvre de nouveau. Le grand tour est presque une obligation des artistes au XVIIIème siècle et ce grand tour avait été en quelque sorte interdit par le blocus continental. La chute de Napoléon et la réouverture des frontières va permettre de nouveau aux artistes de voyager.      
Mais le voyage de Turner est particulièrement intéressant. Il le fait complètement rompre avec sa manière de peindre. Il y a vraiment un avant et un après l'Italie. L'Italie change tout chez Turner, ses couleurs, sa façon de voir le paysage et même sa façon de s'y projeter. Il a sans doute trouvé à Venise cet idéal d'échanges entre l'eau, la lumière, l'atmosphère et les couleurs extraordinaires que peut prendre un coucher de soleil. Ce sont des sensations colorées complètement inédites à Londres. (...) C'est un touriste très sensible, très intelligent, qui profite de ses voyages, de ce qu'il voit, pour s'enrichir et faire évoluer sa propre conception de l'art.

On pourrait un peu rapidement penser que Turner travaille devant le motif, mais c'est faux. Il travaillait en atelier l'hiver, à Londres, et il voyageait en été, prenant des petites notes rapides dans des carnets. Il recompose, il reconstitue les paysages qu'il a vus. Et c'est d'autant plus intéressant que ça nous montre que ce paysagiste est, avant tout, un homme qui invente. Il ne copie pas la nature, il la recrée. Il y a un côté démiurgique dans la peinture de Turner.

Le motif de l'eau

Turner semble habité d'une sorte de mystique de l'eau - l'eau sous toutes ses formes est le grand sujet de son travail : la glace, le brouillard, les lacs, les mers déchaînées ... Dans ses dernières aquarelles, il semble inonder sa feuille d'eau et l'aquarelle prendre sa liberté dans cette eau où elle se répand.

C'est particulièrement sensible et vrai dans l'aquarelle qui a été intitulée L'épave. On sent que la matière colorée a eu toute liberté pour circuler sur la feuille et que l'évocation de la mer et de cette tempête, c'est presque un accident. En fait, il y a une tache noire qui, a-t-on pensé, pouvait représenter une épave. Mais c'est véritablement une recherche expérimentale, d'oeuvre automatique quasiment. Et les comparaisons qui viennent devant ce genre d'oeuvres, c'est plutôt avec l'art abstrait, l'art asiatique d'aujourd'hui comme celui de Zao Wou-Ki ou avec des artistes qui travaillent sur cet espace de liberté de la matière.

Certaines marines, qui sont des vues de la mer, sont complètement stupéfiantes de liberté et de choix arbitraires dans leurs couleurs, dans les choix techniques de Turner. Ce sont des peintures très épaisses, où il a trituré la matière avec son couteau, avec ses brosses. La peinture est écrasée, arrachée, projetée. Il y a tout ce que vous voulez sur ces toiles, dans des couleurs complètement arbitraires. Il y a des jaunes, des rouges, des bleus qui ne sont pas du tout des couleurs naturelles de la mer. Et le tout est mis en scène dans une circularité du mouvement de la brosse, un grand geste circulaire. C'est une peinture gestuelle déjà, une peinture en effet informelle, abstraite, où l'artiste a mis quelques minuscules détails pour la rattacher à un sujet : deux, trois voiles ou la queue d'un dauphin, mais on est vraiment, là, dans le sentiment de la mer. (...) _C_e qui est amusant, en effet, c'est ce jeu de transparence des couleurs pures et l'hyper-présence de l'artiste sur la toile. Quand vous regardez l'océan de Turner, vous voyez d'abord Turner.

Les aquarelles de la Tate Gallery

Ces esquisses colorées, il les peignait pour lui-même. Il y attachait de l'importance, une importance personnelle, puisqu'il les a toutes gardées. Il les a rangées dans des cartons, mais il ne souhaitait pas qu'elles soient visibles. Nous, nous aimons connaître cette démarche, nous voulons connaître ce Turner intime. C'est à travers ces milliers d'aquarelles qu'on peut réaliser combien Turner était un travailleur acharné, qui pratiquait une sorte de gymnastique quotidienne de l'art. Son acharnement à produire me fait un peu penser à Rembrandt. Je pense que Rembrandt gravait, dessinait, ou peignait tous les jours de sa vie. C'est une sorte d'obsession. L'artiste est habité par sa fonction et sa mission d'artiste. Chez Turner ça a pris cette dimension extraordinaire de dizaines de milliers d'aquarelles qui sont aujourd'hui à la Tate Gallery.

Lectures

Les peintres modernes de John Ruskin, 1842

Contre-jour, poème de Ingeborg Bachmann à propos de  William Turner (date inconnue)

Les regardeurs

Commentaires extraits de l'exposition :

Yannick Haenel à propos du  Rameau d'or

Isabelle Autissier à propos de L'épave

Une visite virtuelle de l'exposition est proposée ici.