

Essai sur l'énigme picturale que constitue le tableau dit de la Flagellation du Christ
- Franck Mercier Enseignant-chercheur, maître de conférences en histoire médiévale à l'Université Rennes-2
Si vous vous rendez en Italie, que vous visitez l’Ombrie et donc le Palais ducal d’Urbino, vous serez arrêté dans ce musée par beaucoup de chefs d’œuvres mais surtout peut-être par un tableau d’un des grands génies du XVe siècle Piero della Francesca que ses amis, dont nous sommes, appellent familièrement Piero.
En effet, dans cette grande galerie d’Urbin ce tableau de 50X80cm, qu’on intitule la flagellation vous arrête comme depuis deux cents ans il arrête aussi le connaisseur retenu par le climat étrange qui s’en dégage.

Dans une composition, extraordinairement soignée et complexe, à la géométrie insistante, glissent des personnages magnifiques qui vivent une scène qui devrait être tragique pleine de cris et d’indignation…. mais non. Aucun drame, une beauté détachée et souveraine s’exhale de ce tableau serein qui échappe au drame qu’il décrit.
L’étrangeté commence avec les deux espaces distincts qui y sont représentés.
A gauche, la salle d’un palais antique : colonnes, marbres, sols polychromes et une petite estrade sur laquelle se tient, presque indifférent, Ponce Pilate. Devant lui, a pourtant lieu le supplice auquel se soumet, impassible, le christ lié à une colonne. A son côté, un assistant du bourreau veille, calmement, au déroulement du supplice. Le bourreau, lui, de dos, le bras levé, s’apprête à fouetter l’indifférence de sa victime tandis qu’un personnage enturbanné qui nous tourne le dos, entièrement vêtu de blanc regarde la scène, en se déhanchant légèrement, sans que sa posture n’exprime la moindre émotion.
La partie droite du tableau dont on pourrait espérer un éclairage comme un commentaire renforce encore l’énigme.
Au premier plan, plus près de nous trois personnages en pied se détachent sur un fond d’architecture profane médiévale. Ils sont en vis-à-vis, comme pour une conversation, mais leurs bouches restent closes. Aucun son. L’un, en carmin est vêtu comme un prince d’autrefois, l’autre est vêtu d’un vêtement bleu somptueusement orné, comme un mondain de l’époque et le troisième, plus jeune, l’est d’une simple tunique rouge, et curieusement, a les pieds nus. Que dire de ce silence, de ces espaces dissociés, de leurs lumières contradictoires, de ces personnages qui, comme les pièces d’un jeu d’échec, glissent, imperturbables, sur la surface.


Quelques fois des livres d’art nous font jubiler alors qu’ils explorent les méandres de la création et éclairent des œuvres dont le mystère grâce à eux, sans perdre de sa grâce fascinante, trouvent des raisons. Les grandes œuvres mystérieuses, « les époux Arnolfini » de Van Eyck, le « bar aux Folies Bergère » de Manet, « Étant donnés » de Marcel Duchamp ont leurs délices exégétiques et Franck Mercier que j’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui pour son livre Piero della Francesca, une conversion du regard, (ed EHESS) nous offre, par sa recherche, qui renouvelle profondément la lecture que nous avions de la flagellation de Piero, un plaisir intense que je me réjouis de partager avec vous aujourd’hui…

Lecture des textes : Charlie Nelson
Extrait de La légende de la vraie croix, Daniel Arasse
Musique :
- Wipfeldub de Pole
Extrait de L’oeil du quattrocento, Michael Baxandall
Musiques :
- Burrata de Crys Cole & Oren Ambarchi
- Low Bow de Jim O'Rourke
Extrait de Augustin les confessions livre XI
Musique :
- Part 3 de Oren Ambarchi
Chargée de recherche : Maurine Roy
En partenariat avec BeauxArts Magazine
Nouvelle écoute de cette émission diffusée le 14/03/2021
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation