En Finlande : La Hasse au Brègue (2) - Où le poète à cravate blanche est soumis aux corbeaux (corvus corax)

France Culture
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Une radafionie de Dominique Meens, Gaël Gillon (réalisation) et Philippe Bredin (technique)

Remerciements et fabrique

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Descriptif : Ceux qui l’ont faite et comment

La Hasse au Brègue est issue de deux séjours en Finlande. Le premier d’un mois, en juin 2014 ; le second de quatre jours, en septembre. Je n’aurais pu partir la première fois sans l’aide d’une bourse Stendhal attribuée par l’Institut de France. Grâce à France-Culture, j’étais sous les grues dès cinq heures du matin le 21 septembre.

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Ce furent lacs, et forêts, et rivages,

vite déserts avec des oms taiseux

mais doux et bienveillants à leur passage :

café chaud, poisson fumé, crème aux œufs.

écrit le poète à la cravate blanche. J’ai croisé Harri Hertell à Lahti. Il sortait du sauna et m’assura que c’était le meilleur qu’il avait jamais vu, que je devais m’y précipiter, ce que je fis. Plus tard, je sus qu’il écrivait, et lui proposai d’enregistrer de ses poèmes. Il a bien voulu me lire ceux auxquels il travaillait. Le poète à cravate blanche les a traduits.

Le soir tisse sa toile entre nos jambes

Jeté l’œil vers les arbres – de là quelqu’un viendra tranquille

Aujourd’hui je suis paysage, tout en moi bouge – moi pas

La serviette sèche sur la rambarde – une fois sèche nous partirons – nous nous rappellerons ce bain

Dans ce sauna on sera né bien des fois – à nouveau

Je suis longtemps resté là – une araignée à son dîner

Avec ça, bien dormir, rêver de feuilles de bouleau – blotties

Un gars bourré patauge dans la roselière – les oiseaux s’envolent – frappé de caisse claire

Je vais me retourner nous ouvrir les rideaux – nous n’aurons pas froid – la peur tâtonnera

Les goélands volent cherchant la sortie du ciel

Au sauna de la Saint-Jean, les nœuds, dans les bûches – des yeux pleurant la lumière décroissante

Tranquilles nous partons d’ici – brisées de brindilles

Harri Hertell, juin 2014

2e
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J’ai retrouvé Jan Eerala non loin de Pori. En Papouasie, Jan Eerala serait un Grand Homme. En Chine, quatre siècles avant notre ère, il aurait été un ami de Tchouang-tseu en Grèce, Pyrrhon aurait marché deux jours pour le retrouver. Aujourd’hui Jan Eerala dort et son sommier est disponible sur internet à cette adresse : rupuranta.net. Il m’a lu, choisi dans Les Fleurs du Mal éditées en finnois, ce poème :

**Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales **

Vous hurlez comme l’orgue et dans nos cœurs maudits,

Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles,

Répondent les échos de vos De profundis .

Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,

Mon esprit les retrouve en lui ce rire amer

De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes,

Je l’entends dans le rire énorme de la mer.

Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles

Dont la lumière parle un langage connu !

Car je cherche le vide, et le noir, et le nu !

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles

Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers,

Des êtres disparus aux regards familiers.

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Plus tard, arrivé plus loin, presque loin de tout, Tuomo Ollila ma mené plus loin encore et devinant ce que je désirais, devinant la traque du poète à la cravate blanche, m’a placé où il fallait.

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Revenu de tout, comme il arrive, je fus heureux de retrouver à Helsinki le fleuriste de rue (comment le nommer autrement) et sa "sœur" (il me disait que cette charmante femme était sa sœur, je n’en croyais pas un mot) que j’avais salué un mois auparavant. Nous fîmes, comme on dit, connaissance. Un autre ! Un Démocrite cette fois ! Ou mieux un Héraclite rieur ! Un ancien marin, parlant finnois, suédois, anglais, danois, allemand, un peu le français. Cet homme que je rejoignis trois jours de suite me sauva d’une tristesse pécheresse. Vous le trouverez au coin de Korkeavuorenkatu et Jääkärinkatu.

Philippe Bredin et Gaël Gillon m’ont accompagné en septembre. Ils n’ont pas bronché quand noyés dans la brume froide et les grues signifiantes le poète à la cravate blanche s’est mis à nier trois fois. C’est dire.

À tous, merci, kiitos.

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