Le château fantôme de la Ferté-Vidame : dans les ruines du Grand Siècle

Le château de la Ferté-Vidame, dans le Perche
Le château de la Ferté-Vidame, dans le Perche ©Radio France - R. de Becdelièvre
Le château de la Ferté-Vidame, dans le Perche ©Radio France - R. de Becdelièvre
Le château de la Ferté-Vidame, dans le Perche ©Radio France - R. de Becdelièvre
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Visite de l'une des ruines les plus impressionnantes de France aujourd'hui : le château de la Ferté-Vidame, dans le Perche, où le Duc de Saint-Simon écrivit ses Mémoires...

Ce matin, nous partons à la frontière entre les départements de l'Eure-et-Loir et de l'Orne. Là-bas, il y a un parc dans un parc : un grand jardin à la française de plusieurs dizaines d’hectares, fermé par un pourtour de muraille, dans le parc naturel du Perche. Au centre de ce parc se trouve un imposant château dont la façade mesure pas moins de 150 mètres de long. Un château à la française, dans le style classique, tout de briques et de moellons, parfaitement symétrique. On l’appelle le château de la Ferté-Vidame.

Musique : Jean-Baptiste Lully, Le Carnaval

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Il a été construit au XIVème siècle, puis presque entièrement rasé vers la fin du XVIIIème, pour être reconstruit par l'architecte Le Carpentier, dans le style à la mode de l'époque. Il a appartenu à la famille de Rouvroy, au sein de laquelle on trouve des noms illustres dont celui du Duc de Saint-Simon, écrivain. C'est là-bas, à la Ferté Vidame, qu'il se retira pour écrire et composer les quelque 12000 pages de ses Mémoires. Soit les chroniques des dernières années du règne et de la cour du Roi Louis XIV à Versailles qui, entre portraits et souvenirs, démonte la machine courtisane, et ses ressorts d'apparences et de pouvoir. Un livre monumental, un livre-flux, aux phrases sinueuses et profondes.
 

Une des grandes particularités de ce château, c'est qu'on ne peut pas le visiter. En effet, un grillage de fer encercle tout l'édifice et l'entrée est défendue par des grands panneaux rouges : DANGER ACCES INTERDIT. Pourquoi ? Parce que le bâtiment est complètement en ruine, parce que le château de la Ferté-Vidame est une ruine, dont seuls les murs tiennent debout. Et c’est une ruine absolument époustouflante. La toiture s'est effondrée, ainsi qu'une partie de l'aile droite, mais sinon toute sa structure verticale est encore là, vidée de son contenu. La végétation pousse sur ce qui était autrefois le parterre, ses fenêtres béantes et sans verre s'ouvrent sur le ciel, pour en laisser passer la lumière. En été, sur fond de ciel bleu le château peut faire penser à une ruine de l'empire romain. Dans le gris de l'hiver, on dirait une demeure fantôme tout droit sortie d'un cauchemar des sœurs Brontë.
 

L'Invité(e) culture
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Le château, vu de dos
Le château, vu de dos
© Radio France - R. de Becdelièvre

La Ferté-Vidame est tombé en ruine à la fin du 18ème siècle. Et l'histoire de sa chute est d'une vitesse assez confondante. Sa rénovation a été achevée vers 1771, mais il ne tient pas trente ans, puisqu’il est vite confisqué à la Révolution, après l'émigration de sa  propriétaire, la duchesse d'Orléans. Il a ensuite été racheté par un certain Cardot-Villers, la terreur de toutes les fondations du patrimoine de la planète : ceux qui démantèlent des châteaux pour les revendre en pièces détachées. Cardot-Villers faisait même partie d'un gang qu'on appelait la "Bande Noire", des spéculateurs qui rachetaient les biens Nationaux pour les revendre à la découpe. Car il y a toujours des matériaux à récupérer et à revendre dans un château : le métal des gouttières, des boiseries, des ardoises ou des moellons… Endetté jusqu'à l'os, Cardot-Villers ira même jusqu'à couper 31000 arbres dans le parc pour vendre du bois…
 

Il ne reste donc, dans l'immense parc du Perche entretenu et tondu, que cette ruine imposante, trouée et érigée vers le ciel. Un monument mélancolique et énigmatique où méditer évidemment sur la vanité de la puissance. Une ruine qui peut en dire davantage sur le temps passé et les fracas de l'histoire que d’autres bâtiments intacts. 

Écrire l’histoire de son pays et de son temps […] c’est se convaincre du rien de tout par la courte et rapide durée de toutes ces choses et de la vie des hommes ; c’est se rappeler un vif souvenir que nul des heureux du monde ne l’a été, et que la félicité, ni même la tranquillité, ne peut se trouver ici-bas. (Saint-Simon, avant-propos de ses Mémoires)

Ruines du château
Ruines du château
© Radio France - R. de Becdelièvre