

Il y a quelque chose de très moderne de très proche de nous dans ce que George Sand cherche créer à Nohant : une résidence d'artistes, un lieu confiné d'où l'on peut regarder et commenter, en rêvant qu'il ne soit jamais vraiment gagné par le progrès.
Nohant Vic est un petit village du Berry, où vous avez peu de chance de passer par hasard. Il y est un petit château, ou plutôt une grande maison. "Rien n’indique le nom de cette maison, rien ne nous la signale rien ne la tire du commun", écrit Edith Wharton, qui, comme moi, l’a cherchée avec assiduité. "Elle se trouve là, grande, tranquille comme l’une des faces de la femme extraordinaire qu’elle a abritée." Cette maison c’est celle de l’autrice la plus célèbre et la plus sulfureuse du XIXe siècle, la plus incomprise aussi : George Sand. Que l’on aime parfois sans vraiment la connaître, et si l'on veut l’approcher, c’est à Nohant qu’il faut aller.
Car plus que sa maison, Nohant est la matrice de George Sand. "Il est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée". Le domaine lui vient de sa grand-mère, qui l’y élève dans une liberté quasi-totale, proche de l’idéal rousseauiste, ce qui est fort rare pour une petite fille de l'époque. C’est dans la bibliothèque de Nohant que la jeune Aurore, car c’est son prénom alors, découvre la littérature, commence à écrire des contes. C’est à Nohant aussi qu’une fois mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle ose pour la première fois faire chambre à part, Et c’est par Nohant qu’elle trouve la force, à Paris, de devenir George, une femme qui écrit comme un homme, s’habille comme un homme, a des amis et des amants comme un homme.

La maison de George, Franz, Frédéric et les autres...
Il y a quelque chose de très moderne, de très proche de nous dans ce que George Sand cherche à créer à Nohant, une fois devenue écrivain et indépendante. Elle y accueille tous ses enfants, ses amis pour qu’ils puissent créer dans les plus belles conditions si bien que Nohant n’est pas que la maison de George Sand, c’est aussi celle de son fils Maurice, qui écrit pour les enfants et pour qui elle construit non pas un, mais deux théâtres de marionnettes, que l’on découvre intacts, avec des centaines de figurines, dont George a parfois elle-même cousu les costumes. Nohant, c’est aussi la maison d’Eugène Delacroix, qui vient régulièrement et pour qui elle aménage un atelier. Celle de Chopin, qui fut son compagnon pendant dix ans ; il passe sept étés à Nohant de 1839 à1846, et y compose près du tiers de son œuvre. On peut toujours voir la porte que George a fait capitonner pour qu’il puisse travailler en paix, et le grand piano où il a composé, passé des soirées entières à jouer avec Franz Liszt, qui est lui aussi un habitué. Et avec Pauline Viardot, immense chanteuse et compositrice trop méconnue dont on fête cette année les deux cents ans, grande amie de la maîtresse des lieux, qui s'est inspirée d'elle pour écrire ce qui est pour moi son chef-d’œuvre, le magnifique roman Consuelo.
De George la révoltée à "la bonne dame du Berry "
Car George écrit bien sûr à Nohant, et pour Nohant : la maison est un gouffre financier, ce qui l’oblige à produire beaucoup, sans cesse, et fait d’elle l’un des écrivains les plus prolifiques du siècle avec soixante-dix romans et plus de cinquante œuvres diverses. Je trouve toujours injuste, mais finalement assez émouvant qu’aujourd’hui on connaisse d’elle surtout La Petite Fadette, La Mare au diable... Des œuvres qui sont inspirées précisément des contes et légendes de la région, de la vie des paysans près desquels elle vit. Toutes datent de la fin de sa vie quand George la révoltée, la scandaleuse, était devenue "la bonne dame du Berry". C’est aussi en cela qu’elle nous parle, cette George Sand, qui pressent que le monde change, s’y engage, le commente, mais vit de plus en plus confinée dans cette Vallée noire dont elle aimerait qu’elle ne soit pas gagnée par le progrès, que quelque chose de vrai y soit préservé. "C’est bien joli par ici, c’est bien clair, on voit loin. Voir loin, c’est la rêverie du paysan ; c’est aussi celle du poète." Allons donc rêver à Nohant cet été.
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