Analyse politique et géopolitique de la semaine en direct et en public des Rendez-vous de l'Histoire de Blois avec le journaliste Gérard Courtois, l’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti, le journaliste et essayiste Brice Couturier et l’historien Jean-Noël Jeanneney.
- Gérard Courtois Journaliste, ancien chroniqueur au quotidien Le Monde
- Brice Couturier Journaliste, producteur jusqu'en juin 2021 de la chronique "Le Tour du monde des idées" sur France Culture
- Aurélie Filippetti Femme politique, romancière, ancienne ministre de la Culture dans les gouvernements Ayrault puis Valls
- Jean-Noël Jeanneney Historien, ancien président de Radio France
Analyse politique et géopolitique de la semaine en direct et en public des Rendez-vous de l'Histoire de Blois avec le journaliste Gérard Courtois, l’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti, le journaliste et essayiste Brice Couturier et l’historien Jean-Noël Jeanneney.
1/ Médias-Dupont de Ligonnès : la douche écossaise
C'est l'histoire d'une erreur médiatique qui devient elle-même un fait d'actualité. Les unes des journaux ce dimanche ont quelque chose d'assez ubuesque, titrant donc sur un événement qui ne s'est pas produit.
"Dupont de Ligonnès, à qui la faute?" titre par exemple le Journal du dimanche, nous proposant le récit de ces heures où l'on a cru que le fugitif avait été arrêté en Ecosse . "Comment la police et les médias se sont précipités sur une fausse piste", peut-on lire encore, le journal revenant ensuite sur le mystère de cet homme introuvable depuis 2011 après avoir assassiné sa femme et ses quatre enfants.
"Histoire d'une méprise", titre aussi L e Parisien dimanche, sans que l'on sache très bien si ces journaux ont choisi ce genre de une parce que l'énormité de l'erreur nécessitait un mea culpa et des explications; ou parce qu'il était trop difficile voire douloureux de renoncer à ce scoop médiatico-policier tellement excitant.
En attendant, ce dimanche, dans un certain nombre de rédactions, on ressentait comme une ambiance de douche écossaise.
2/ Après l’attentat : de Sarkozy à Macron, brève histoire des discours présidentiels
Nous nous sommes bizarrement habitués à cet enchaînement des faits : l’alerte sur le smartphone annonçant une tuerie, l’attente de savoir si le mot "acte terroriste" va être prononcé, ou si lui sera préféré celui "d’acte fou". On en vient d’ailleurs à espérer la folie plutôt que le terrorisme, pour éviter d’avoir à se confronter, de nouveau, à l’irruption de cet ennemi de l’intérieur venant sciemment déséquilibrer la paix civile. Une fois l’acte qualifié, on a pris l’habitude d’attendre les précisions du Procureur de la République, âge, identité, parcours du tueur… Commence alors le "récit médiatique" post attentat, l’emballement des chaines d’information en continu qui basculent en "édition spéciale". Puis vient le moment du "récit politique" : lorsque les ministres compétents ou même le chef de l’Etat – si la gravité de l’acte commis l’exige- prennent à leur tour la parole.
Face à la rupture sécuritaire provoquée par l’acte terroriste, le président doit alors réaffirmer l’existence et l’action de l’Etat. Réparer la nation après l’attentat. Réaffirmer l’autorité de l’Etat et sa capacité à agir. Voilà bien l’exercice auquel s’est livré cette semaine Emmanuel Macron, rendant hommage aux quatre policiers tués lors de l’attaque de la préfecture de Police de Paris jeudi dernier, attaque symboliquement traumatisante parce que soulignant la vulnérabilité de l’institution même chargée de nous protéger dans un Etat de droit.
Les mots des présidents, tous ces discours ont-ils évolué au fil des attentats, de l’école juive de Toulouse à Charlie et au Bataclan, jusqu’à la Préfecture de Police ce mois-ci ? Ces paroles présidentielles réussissent-elles toujours à produire de l’unité, celle qui permet de continuer de "faire nation" ? Et que nous révèlent-ils enfin, ces mots présidentiels, de ceux qui les prononcent ?
3/ Kurdes : histoire d’une tragédie
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé mercredi le début d'une nouvelle opération militaire, baptisée –comble du cynisme- "Printemps de la paix", contre les Kurdes de Syrie. Des frappes aériennes ont visé plusieurs villes frontalières, des morts sont déjà à déplorer. Dans l’indifférence. Car qui sait vraiment de quoi on parle ? Que veut on dire lorsqu’on dit "les Kurdes" sachant que le territoire qu'ils occupent recouvre pas moins de quatre pays limitrophes : la Turquie, l'Irak et l'Iran et donc, la Syrie. Soit autant de "réalités kurdes" différentes. Dans chacune de ces régions, les peuplades kurdes ont tenté de s'organiser politiquement malgré les réticences des Etats au sein desquels ils vivent.
Les Kurdes ont été le fer de lance de la guerre contre l'Etat Islamique, notamment en reprenant Kobané mais aussi Raqqa, qui fut un temps la capitale politique et militaire de Daech. Les Kurdes attaqués cette semaine ont le projet de créer un Kurdistan autonome en Syrie, raison pour laquelle ils avaient opéré la jonction des trois cantons d'Afrine, de Kobané et de la Djézireh avec le nom de Système fédéral démocratique de Syrie du Nord, ou Rojava. Sauf que le 18 mars 2018, l'enclave d'Afrine était déjà passée aux mains des Turcs.
Le territoire kurde dont nous parlons cette semaine est une bande de territoire syrien longue de 120 km et profonde d'une trentaine de kilomètres. La Turquie dit vouloir en déloger les Kurdes pour établir une zone tampon pouvant accueillir une partie des 3,6 millions de Syriens actuellement réfugiés en Turquie. Les Etats-Unis de Donald Trump, en ordonnant le retrait des forces spéciales américaines, ont livré, de fait, les Kurdes à la Turquie. Ils laissent aussi, par effet ricochet, le champ libre à la Russie, donc à son allié syrien, et remettent du chaos dans une région déjà chaotique, rendant possible le réveil de certaines cellules de Daech. Les cinq membres européens du Conseil de sécurité ont condamné en vain puisque comme d’habitude, Chine et Russie n’ont rien dit et bloqué toute possibilité de sanctionner.
Les Kurdes, une tragédie sans fin, ou l’histoire qui radote, résumée crûment mais efficacement par l’écrivain Patrice Franceshi engagé auprès d’eux depuis sept ans : "On a demandé aux Kurdes de Syrie de nous débarrasser de notre ennemi commun qui était Daech, et une fois qu’ils ont rempli le job, on les jette à la poubelle".
Références / conseils de lectures :
- Sophie Mousset, _Kurdistan, poussière et vent, _éditions Nevicata, _"_L'âme des peuples", 2017
- Sœurs d'armes, film de Caroline Fourrest, sorti le le 9 octobre 2019
- Jean Lopez, Lasha Otkhmezuri, Barbarossa. 1941, la guerre absolue, Passés composés, 2019
- Patrick Modiano, Encre sympathique, Gallimard, 2019
- Les livres d'Orhan Pamuk. Le dernier : La Femme aux cheveux roux, Gallimard.
- Christian Grataloup, Atlas historique mondial, éditions les Arènes, 2019
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