Comment les politiques instrumentalisent l’histoire ?

Les politiques et l'histoire
Les politiques et l'histoire ©AFP
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Pourquoi les politiques manipulent ils l'histoire? Dans quel but ?

Avec
  • Pascal Blanchard Historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique, spécialiste du "fait colonial" et des immigrations en France
  • Jean-Noël Jeanneney Historien, ancien président de Radio France
  • Christine Ockrent Journaliste et productrice de l'émission "Affaires étrangères" sur France Culture
  • Sylvie Kauffmann Directrice éditoriale au journal Le Monde. Spécialiste notamment des questions internationales.

Depuis les années 2000, un mouvement anti-repentance gagne du terrain en France. Il consiste à dénoncer tout acte de reconnaissance de fautes de l'Etat français comme un acte antinational. Ce discours se politise fortement à partir de 2007 avec l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, mis en avant par ses proches, Patrick Buisson et Henri Guaino, qui entendent marquer une rupture avec la politique mémorielle de Jacques Chirac. Au lieu de constamment s'excuser, ils estiment qu'il faut être fier de l'histoire nationale. François Fillon fera d'ailleurs sienne, en 2017, cette offensive sur le récit national. Le message est clair : les Français ne doivent pas avoir honte de l'histoire nationale et il faut transmettre à la jeunesse les pages glorieuses de leur passé. Ce propos fait encore aujourd'hui consensus au sein d'une partie de la droite et de l'extrême-droite. Eric Zemmour s'inscrit dans cette perspective, tout comme Philippe de Villiers. 

Jacques Chirac, le président de la reconnaissance hautement symbolique du rôle de l'Etat dans la Déportation.

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Jacques Chirac est le premier président à mettre fin au tabou sur la responsabilité de l'Etat français dans la déportation des juifs. Dans un discours resté célèbre le 16 juillet 1995, le chef de l'Etat estime que la France a alors "accompli l'irréparable". C'est également lui qui décidera d'instaurer la "journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition". Elle se tiendra pour la première fois en 2006. 

Nicolas Sarkozy, le refus de repentance ?  

Dans son discours de victoire le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy qualifie la repentance de "haine de soi" et fustige la "concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres". Coup de théâtre en 2011. Un an avant l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy préside le 10 mai une cérémonie à l'occasion de la journée nationale de l'esclavage et modifie ses éléments de langage. Il qualifie de "premiers crimes contre l'Humanité" la traite négrière et l'esclavage dans les territoires d'outre-mer."

François Hollande : la reconnaissance du 17 octobre 1961

François Hollande s'est illustré, le 17 octobre 2012, en reconnaissant la responsabilité de la police dans la mort de dizaines de manifestants musulmans à Paris 51 ans auparavant, soit le 17 octobre 1962.  En juillet 2012, il avait également marché dans les pas de Jacques Chirac et surtout brisé l'ambiguïté de François Mitterrand en déclarant à la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv que cet épisode était un "crime [...] commis en France par la France".

François Mitterrand : dans la continuité gaulliste

Plus de 40 ans après la guerre, François Mitterrand, empreint d'une vision gaulliste de l'histoire, estime que l'Etat vichyste sous l'Occupation s'est substitué à la République, qui n'est donc pas en cause dans la déportation des juifs. Une vision qu'il propose en creux lors du cinquantenaire de la rafle du Vel d'Hiv, le 16 juillet 1992, en se gardant de prendre la parole. Cette posture, alimentée par un dépôt de gerbe sur la tombe du maréchal Pétain quelques mois plus tôt, crée le malaise dans une partie de l'opinion.

François Mitterrand instaure pourtant en 1993 une "journée de commémoration des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite 'gouvernement de l'Etat français'".

Emmanuel Macron et le devoir de mémoire

Depuis le début de son quinquennat, le président de la république essaye d'être dans une politique de réconciliation mémorielle : Algérie, Rwanda... Il est sur tous les fronts. Le 20 septembre, Emmanuel Macron a officiellement demandé pardon aux harkis, annonçant une prochaine loi « de réparation », lors d’une cérémonie solennelle à l’Élysée. Il fera également du 7 avril – date de déclenchement du génocide contre les Tutsi, en 1994 – une journée de commémoration. Enfin, le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron fera un discours à Ouagadougou où il annonce les axes de la relation qu'il veut fonder entre la France et le continent africain. Il déclare : "Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire." 

La récupération de la mémoire par les politiques 

Eric Zemmour se dit "hostile aux lois mémorielles" qu'il juge liberticides. Pour rappel, en France, il existe quatre lois mémorielles. La première, qui remonte au 13 juillet 1990, a permis de créer le délit de négationnisme. C'est cette loi qui, au moment de son instauration, avait fait l'objet de premières attaques. En 2001 par une deuxième loi portant sur le génocide arménien ainsi qu'une autre sur l'esclavage. Enfin la dernière en date, en 2005, portait sur la reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés. Il y a quelques semaines, Eric Zemmour disait : “Vichy a protégé les juifs français et donné les juifs étrangers”, [...] “C’est mon combat contre la repentance et la culpabilité. On essaye de culpabiliser le peuple français en permanence”.  Mais Eric Zemmour n'est pas le seul à manipuler l'histoire. 

Comment les politiques se servent de l'histoire? Dans quel but ? Nous en débattons avec nos invités... 

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