En demandant pardon aux harkis, Emmanuel Macron a-t-il raison de s’engager sur le chemin de la repentance ?

Groupe de harkis
Groupe de harkis ©Getty
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Lors d’une réception lundi consacrée à la mémoire des harkis à l’Elysée, Emmanuel Macron a demandé pardon aux harkis et a annoncé une loi de « reconnaissance et de réparation ».

Avec
  • Bertrand Badie Politiste, spécialiste des relations internationales
  • Gérard Courtois Journaliste, ancien chroniqueur au quotidien Le Monde
  • Hubert Védrine diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin et ancien secrétaire général de la présidence de la République sous François Mitterrand
  • Christine Ockrent Journaliste et productrice de l'émission "Affaires étrangères" sur France Culture

Les accords d'Evian 1962

Après deux années de contacts et de négociations secrètes, les accords d’Évian sont signés, le 18 mars 1962, par Louis Joxe, alors ministre français chargé des affaires algériennes et Krim Belkacem, colonel de l’Armée de libération nationale, au nom du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).  Des accords historiques qui vont permettre de mettre un terme aux combats engagés depuis le 1er novembre 1954 en Algérie, et à 132 ans de colonisation française. 

Pendant ces 8 années de guerre, l'armée a pu compter sur les harkis, des musulmans algériens recrutés comme auxiliaires de l'armée française. On estime à environ 200.000 le nombre de harkis recrutés pas l'armée française.

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Le retour des harkis en France

Mais le lendemain des accords d'Evian, qui consacre le retrait français d'Algérie, le gouvernement français rejette le rapatriement massif des Harkis. Environ 60.000 Harkis parviennent toutefois à monter sur les bateaux pour la métropole, aux côtés des pieds-noirs, rapatriés d'origine européenne. Ils seront placés dans des « camps de transit et de reclassement » aux conditions très difficiles. Les autres - 55.000 à 75.000 selon les historiens - sont désarmés et livrés à leur sort en Algérie. Considérés comme des traîtres par le nouveau régime, ils sont victimes de massacres et de représailles. 

La reconnaissance des harkis 

En août 2001, la France instaure la première journée d'hommage national aux Harkis, fixée au 25 septembre. Ce jour-là, le président Jacques Chirac déclarait que « les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte de la barbarie. Ils doivent être reconnus ».

Le 23 février 2005, une loi prévoit une allocation de reconnaissance pour « les Harkis, leurs orphelins et les rapatriés d'origine européenne ». Le président François Hollande a solennellement reconnu le 25 septembre 2016 les « responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des Harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d'accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ».

Emmanuel Macron veut réconcilier les mémoires

Né après la fin du conflit, le président français, Emmanuel Macron, entend réconcilier les mémoires et dépassionner le débat alors que 59 ans après les accords d’Évian, la mémoire de l'histoire de la guerre d’Algérie reste un sujet très sensible dans les rapports franco-algériens, mais aussi au sein de la classe politique.

En 2018, un « plan Harkis » débloque 40 millions d'euros sur quatre ans pour revaloriser notamment les pensions des anciens combattants et aider leurs descendants dans la précarité. Un montant que les représentants harkis jugent alors très insuffisant. La même année, le Conseil d'Etat condamne pour la première fois l'Etat à indemniser un fils de Harki ayant subi des « séquelles » liées aux conditions de vie « indignes » dans les camps où il a vécu en France.

Depuis le début de l’année, le chef de l’État a multiplié les gestes d'apaisement en direction d'Alger, notamment après avoir reçu, le 20 janvier, le rapport de l'historien Benjamin Stora sur "les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie". 

Le 2 mars, la France reconnait que l'avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel a été "torturé et assassiné" au "nom de la France" par l'armée française en 1957, tout comme Maurice Audin, militant anticolonialiste. Le président va encore plus loin en décidant de faciliter, à partir du 10 mars, les procédures de déclassification des archives de plus de 50 ans, notamment en ce qui concerne les documents relatifs à la guerre d’Algérie.  

Emmanuel Macron : "Je demande pardon"

Ce lundi, Emmanuel Macron a « demandé pardon » aux Harkis au nom de la France, lors d'une cérémonie d'hommage à l'Elysée. « Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance ; nous n'oublierons pas. Je demande pardon, nous n'oublierons pas », a déclaré le chef de l'Etat. La France « a manqué à ses devoirs envers les Harkis, leurs femmes, leurs enfants ».

Le gouvernement « portera avant la fin de l'année un projet visant à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à l'égard des Harkis », a annoncé Emmanuel Macron. « Vous portez dans votre chair le souvenir des Harkis. L'honneur des Harkis doit être gravé dans la mémoire nationale », a expliqué le chef de l'Etat en appelant à « panser les plaies » qui doivent être « fermées par des paroles de vérité, gestes de mémoire et actes de justice ».

Le chef de l'État entend présider deux autres dates anniversaires dans les prochains mois : la cérémonie en mémoire des «événements» de 1961, le 17 octobre prochain, et le 60e anniversaire des accords d'Évian, le 18 mars 2022.

Aujourd'hui, les harkis et leurs descendants représenteraient entre 500 000 et 800 000 personnes en France. Un poids électoral non négligeable... 

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