

L'Esprit Public en direct au lendemain de la 4e journée nationale de manifestation des "gilets jaunes", avec l'ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti, les journalistes Sylvie Kauffmann et Christine Ockrent, et le politologue Dominique Reynié.
- Dominique Reynié Politologue. Professeur des Universités à Sciences Po.
- Aurélie Filippetti Femme politique, romancière, ancienne ministre de la Culture dans les gouvernements Ayrault puis Valls
- Christine Ockrent Journaliste et productrice de l'émission "Affaires étrangères" sur France Culture
- Sylvie Kauffmann Directrice éditoriale au journal Le Monde. Spécialiste notamment des questions internationales.
Première partie : "gilets jaunes", et maintenant : après le temps de l’ordre, quel temps politique ?
On n’oublierait pas de sitôt L’ambiance inédite de Paris en cette période de Noël 2018, où cohabitaient avec les sapins et les vitrines des grands magasins inhabituellement fermés, les 8 000 membres des forces de l’ordre déployés rien que dans la capitale, 89 000 sur tout le territoire, une douzaine de véhicules blindés, des commerces barricadés, un centre quadrillé, tour Eiffel, Arc de Triomphe, musées du Louvre et d’Orsay fermés… 10 000 manifestants à paris, 125 000 en tout. Un millier d’interpellations, dont celle de Julien Coupat, encore des casseurs, encore des incendies, également en province à Toulouse, St Etienne, Bordeaux notamment. Une situation qui restait infiniment tendue mais qui n’avait rien à voir avec la possibilité d’un chaos incontrôlable entrevu le samedi précédent.
En résumé : ni regain de violences, ni véritable apaisement, tandis que se déroulaient aussi des marches pour le climat. Un entre-deux en suspens après une semaine folle, où l’on avait parfois eu le sentiment qu’il n’y avait plus beaucoup de « limites ». Point d’orgue mercredi soir sur un plateau de chaîne d’info, où l’un des leaders des gilets jaunes Eric Drouet avait expliqué vouloir aller à l’Elysée pour « rentrer dedans », « Macron a déjà un genou à terre on lui mettra le deuxième ». Moment de bascule où l’on avait cette fois bien compris que la question du pouvoir d’achat était en train de passer au second plan derrière la question de l’ordre républicain. Sans oublier la contamination dans les lycées, incendies, violences, image terrible de ces adolescents agenouillés et mains derrière le dos devant des forces de l’ordre sur les dents, des lycéens qui se disaient en guerre contre la réforme du lycée et ParcoursSup, évoquaient un avenir qui leur faisait peur, un présent qui les mettait en colère. Et puis jeudi, on avait senti le point de bascule, celui qui avait à voir avec une situation échappant aux institutions et à l’état de droit : le Président de la république, toujours invisible et silencieux, avait alors demandé aux forces politiques, syndicales et au patronat de « lancer un appel clair au calme », redoutant une « très grande violence » et des gens qui viendraient samedi à Paris « pour casser ou pour tuer », dramatisation qui lui serait plus tard reprochée par certains. En attendant les syndicats et les élus locaux avaient répondu à l’appel présidentiel, les premiers produisant une déclaration commune d’appel au calme, les seconds appelant au dialogue par l’intermédiaire de l’association des maires de France. Tandis que Laurent Wauquiez, inhabituellement sobre affirmait désormais que « sa seule préoccupation était la sortie de crise », et que même Marine le Pen disait souhaiter des manifestations pacifiques. Seul Jean Luc Mélenchon avait raillé à l’Assemblée les appels au calme, réaffirmant son soutien aux manifestants, et annonçant à la tribune de l’hémicycle : « c’est l’histoire de France qui est en train de se passer ».
Ce dimanche matin, comme un calme étrange dans la capitale : ordre républicain sauvegardé. Désordre démocratique intact : car cette colère « attrape-tout », polymorphe, colère française, colère d’époque n’avait évidemment pas disparu… Gilets Jaunes : et maintenant ?
Deuxième partie : Les "Gilets jaunes" vus d’ailleurs : quelle France, dans quel monde ?
C’est avec un mélange de crainte et de fascination que la presse allemande avait observé toute la semaine l’évolution du mouvement des gilets jaunes, la presse allemande posant souvent la question : la France allait-elle s’enfoncer dans un long conflit social à l’issue duquel Emmanuel Macron ressortirait trop affaibli pour avancer sur la voie des réformes promises avant son élection ?
Tandis que certaines organisations allemandes proches de l’extrême droite avaient tenté de reprendre le flambeau des gilets jaunes via les réseaux sociaux mais sans succès. Les "Gilets jaunes" avaient en revanche fait tâche d’huile à Amsterdam, Sofia et surtout Bruxelles, où vendredi 300 gilets jaunes avaient convergé vers les institutions européennes et ce hors de la région francophone de Wallonie avec des violences, incendies et blocages. En Espagne, la presse observait avec curiosité "la première capitulation politique" de Macron sur le plan fiscal après sa promesse de ne pas lâcher face à la rue comme tous ses prédécesseurs l’avaient fait avant lui. Et puis il y a avait la satisfaction non dissimulée de toutes ces autocraties qui pouvaient enfin se payer le jeune président français droit de l’hommiste et europhile qui n’avait que trop donné de leçons au reste du monde.
La presse turque pro Erdogan soulignait ainsi avec moult détails « l’usage disproportionné de la force par la police française, et le pouvoir français n’arrivant pas à rétablir le calme ». Il ne fallait pas manquer non plus cette semaine cette déclaration de Téhéran qui ne manquait pas de sel appelant Paris à « cesser la violence contre son peuple ». Le Kremlin, lui, avait une analyse insolite qui voyait dans cette révolution jaune l’équivalent de la révolution orange en Ukraine dont il était évidemment rappelé qu’elle avait été orchestrée par les Américains. L’Amérique…celle de Fox News, la chaîne préférée de Donald Trump moquant avec délectation cette semaine ces « Français qui ne travaillent que 4 jours par semaine, prennent 3 heures pour déjeuner, partent en vacances tout l’été » et sèment le désordre dans les rues de France par hostilité aux taxes carbone, celles-là même que Trump le climatosceptique combattait vivement.
Enfin, on retiendrait ce député de l’opposition serbe revêtant un gilet jaune au parlement pour protester contre les prix de l’essence dans son pays… une scène qui disait la mondialisation des images, des revendications, une scène qui disait le village global, une scène qui disait au fond, une époque !
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