- Joseph Maïla ancien directeur de la prospective au ministère des Affaires étrangères
L'antagonisme entre Sunnites et Chiites, avec Joseph Maïla
Joseph Maïla, vous êtes professeur de sociologie politique et de relations internationales, spécialiste du Moyen-Orient et de l’islam. Vous êtes franco-libanais et avez enseigné à Paris et à Beyrouth. Vous avez été le premier recteur laïc de l’Institut catholique de Paris en 2004. Vous avez été associé par le Vatican au premier forum islamo-catholique de l’histoire en 2008. Vous avez également dirigé le pôle religion du ministère des Affaires étrangères de 2010 à 2012. Vous êtes directeur de programme à l’ESSEC, où vous animez des projets liés à la médiation internationale à l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation. Avec vous, nous allons nous intéresser à l’antagonisme entre les sunnites et les chiites.
Sunnisme et chiisme sont apparus très tôt dans l’histoire de l’islam. L’émergence de ces deux courants est liée à une querelle portant sur la succession du prophète Mahomet. Après l’assassinat d’Ali, gendre et cousin du prophète, ses partisans sont défaits au milieu du VIIème siècle par le gouverneur de Syrie Mu’awiya. Certains fidèles d’Ali refusent alors de reconnaître l’autorité du vainqueur et fondent un nouveau courant, dans lequel l’autorité religieuse est transmise aux descendants du prophète. C’est le chiisme, pour lequel l’interprétation des textes, ou ijtihad, rend nécessaire l’existence d’un clergé hiérarchisé. Le courant sunnite, lui, se présente comme le défenseur de l’orthodoxie de la tradition (sunna). Il ne possède aucun clergé, il considère l’islam comme abouti et privilégie la relation directe de l’homme à Dieu. Ces deux courants s’opposent violemment dans les décennies qui suivent la succession du Prophète, et leur rivalité a perduré à travers l’histoire. La dynastie perse safavide impose le chiisme comme religion d’Etat au XVIIème siècle et de nombreuses tribus iraquiennes se convertissent aux XVIIIème et XIXème siècles. Mais dans la plupart du monde musulman, les persécutions du sunnisme dominant poussent la minorité chiite à adopter la taqiyya, ou stratégie de dissimulation.
Depuis le tournant de la révolution iranienne de 1979, l’antagonisme est au plus haut. Le régime des mollahs soutient les revendications politiques de ses coreligionnaires arabes. Ces revendications sont avant tout fondées sur leur poids démographique. Persans et Arabes confondus, 70% de la population du golfe Persique est chiite. Les dynasties sunnites des monarchies pétrolières du Golfe se sont liguées contre l’institution d’une grande puissance chiite à leur porte. Les régimes arabes ont soutenu l’Iraq dans la guerre meurtrière qu’il a livrée de 1980 à 1988 à son voisin iranien. Le conflit a saigné à blanc les deux pays. Téhéran a su pourtant constituer un « arc chiite » du Liban au Pakistan, qui s’est vu renforcé par l’intervention américaine en Iraq. La chute de Saddam Hussein a permis aux chiites de prendre le contrôle du pays, auparavant aux mains des tribus sunnites. La minorité sunnite n’a pas accepté d’être écartée du pouvoir et le pays a sombré dans une guerre civile sanglante. Les révolutions du printemps arabe ont élargi le théâtre de l’affrontement. Au Bahreïn, où 60 à 70% des habitants sont de confession chiite, les mouvements de protestation de 2011 ont été étouffés par la minorité sunnite au pouvoir. En Syrie, à l’inverse, c’est la majorité sunnite qui s’est révoltée contre l’autorité de Bachar Al Assad, issu de la communauté alaouite. Cette variante du chiisme ne regroupe que 10% de la population syrienne. Les puissances régionales se sont engouffrées dans le conflit : le régime syrien est soutenu par l’Iran et le Hezbollah libanais, les forces rebelles sont appuyées par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le conflit déborde sur le Liban voisin, où cohabitent difficilement chiites, sunnites et chrétiens. Certains prédicateurs sunnites du golfe voient dans la lutte contre le régime syrien une forme de nouveau djihad pour éradiquer le chiisme.
Joseph Maïla, dans ces affrontements si violent entre sunnites, très majoritaires dans le monde musulman et chiites, quelle part faire à la religion et quelle part donnée à la rivalité géopolitique entre Arabes et Persans ? Quelles forces œuvrent à renforcer cet antagonisme, quelles forces le combattent-elles ?
Invités
Sylvie KAUFFMANN,directrice éditoriale au Monde
Jean-Louis BOURLANGES, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris
Max GALLO, romancier et historien
Joseph MAÏLA, professeur et spécialiste du Moyen-Orient, de l'Islam et de la sociologie des conflits
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