Leïla Vignal, révolutions et démocratie dans le monde arabe

France Culture
Publicité
Avec
  • Leïla Vignal géographe, professeure et directrice du département de géographie à l'École normale supérieure (ENS), spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient, coordinatrice du Pôle Europe, Think-Tank Terra Nova

Leïla Vignal, révolutions et démocratie dans le monde arabe

Leïla Vignal, vous êtes professeur et géographe, spécialiste du Proche Orient contemporain. Vous avez enseigné dans de nombreuses institutions en Europe ou dans les pays arabes, à Beyrouth, à Damas, au Caire, et à Oxford. Vous êtes actuellement titulaire à l’université Rennes-2 de la chaire « Métropolisation et intégration européenne ». Vous êtes membre du réseau RAMSES 2 qui coordonne les travaux de différents laboratoires de recherche sur le Proche Orient sous l’égide du CNRS. Avec vous, nous allons nous intéresser à l’avancée de la démocratie dans le monde arabe.

Publicité

Depuis le déclenchement de la révolution tunisienne en décembre 2010, le Proche Orient est en plein bouleversement. Les peuples arabes s’étaient soulevés contre la corruption, le chômage, la pauvreté, et l’autoritarisme des régimes sclérosés. Ce qu’on a appelé le « Printemps arabe » et qui apparaissait comme un vaste mouvement de démocratisation a laissé la place à des guerres civiles et à des répressions sanglantes.

Seule la Tunisie où la « révolution du jasmin » avait détrôné en janvier 2011 le président Ben Ali en place depuis 1987, est aujourd’hui dotée d’une Constitution démocratique, adoptée en janvier 2014. Le parti islamiste majoritaire, Ennahda, s’est entendu avec les autres forces politiques du pays pour parvenir à une Constitution de compromis. En Egypte, après la chute en janvier 2011 du président Hosni Moubarak, les Frères musulmans ont remporté en 2012 les élections présidentielles. Mais un an après son élection, Mohammed Morsi a été destitué par l’armée, après la mobilisation de quelques 14 millions d’Egyptiens opposés à la politique islamiste des Frères. Le nouveau régime militaire dirigé par le général Abdel Fatah Al-Sissi, chef d'état-major de l'armée, a ordonné une vaste répression. Selon Amnesty International, 1 400 partisans du président déchu ont été tués et 15 000 islamistes ont été arrêtés depuis juillet 2013. Plusieurs centaines ont été condamnés à mort par une justice inféodée au nouveau pouvoir militaire. Al-Sissi bénéficie de la ferveur nationaliste et jouit d’une très forte popularité. Au Bahreïn, la minorité sunnite au pouvoir et la famille régnante des Khalifa ont fait l’objet d’une large contestation populaire et pacifique, entamée en février 2011. Le régime, soutenu par les monarchies du Golfe, a durement réprimé l’opposition qui est aujourd’hui muselée.

En Libye, le régime de Mouammar Kadhafi est tombé au terme d’une guerre civile de plusieurs mois, au cours de laquelle les rebelles pouvaient compter sur l’appui de l’OTAN. Le dictateur au pouvoir depuis 1969, est mort lynché en octobre 2011. Depuis, le pays a progressivement sombré dans le chaos. Les milices locales n’ont pas désarmé, les assassinats politiques sont monnaie courante, la Cyrénaïque et sa capitale Benghazi ne reconnaissent pas l’autorité du pouvoir central de Tripoli. En Syrie, une sanglante guerre civile fait rage depuis février 2011, quand les premières manifestations pacifiques ont été brutalement écrasées par le régime. L’affrontement aurait déjà fait plus de 150 000 victimes et des millions de réfugiés ont afflué en Turquie, au Liban, en Jordanie. Les rebelles laïcs de l’Armée syrienne libre ont été débordés par plusieurs mouvements djihadistes affiliés à Al-Qaida. Le président Bachar al-Assad se présente comme le défenseur d’une nation stable et laïque attaquée par quelques groupes terroristes soutenus par les puissances étrangères. Le conflit syrien s’étend au Liban où Chiites et Sunnites multiplient les attentats.

La Tunisie fait donc figure d’exception parmi les pays arabes qui ont été secoués par une révolution. Nous voudrions nous interroger avec vous sur l’échec de l’avènement de la démocratie dans le monde arabe. Là où les régimes ont résisté, le soutien populaire a souvent manqué aux révolutionnaires. Rongés par des luttes intestines, ils se sont trouvés esseulés face à des Etats puissants. Là où les régimes sont tombés, les divisions et les luttes pour le pouvoir ont souvent aggravé la situation sociale et économique.

Leïla Vignal, comment analysez-vous ces évolutions du printemps arabes ?

Invités Leïla VIGNAL, professeur, géographe et spécialiste du Proche Orient

Jean-Louis BOURLANGES, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris

Eric LE BOUCHER, éditorialiste aux Echos et co-fondateur de Slate

Marc-Olivier PADIS, directeur de la rédaction de la revue Esprit