Hugues Lagrange, vous êtes sociologue, chercheur au CNRS et membre de l’Observatoire sociologique du changement (OSC). Vos recherches portent notamment sur la délinquance, l’inscription spatiale des inégalités, les politiques et dynamiques éducatives.
En 2010, vous avez publié au Seuil Le Déni des cultures , dont le point de départ fut l’enquête quantitative sur le décrochage scolaire et social que vous avait commandé l’Etablissement public d’aménagement du Mantois - Seine aval, portant sur 4.400 élèves de 11 à 17 ans. Vous vous y interrogiez notamment sur les liens entre facteurs culturels et délinquance, et insistiez sur l’importance d’une prise en compte des enjeux culturel dans l’étude de la socialisation de la jeune génération. Plusieurs sociologues vous ont alors reproché un « retour au culturalisme », courant qui met en évidence l’influence prépondérante des habitudes culturelles sur la personnalité des individus.
Dans votre dernier livre, En terre étrangère. Vies d’immigrés du Sahel en Île-de-France , paru en février au Seuil, vous vous appuyez sur une série d’entretiens réalisés entre la fin des années 1990 et aujourd’hui, pour retracer des parcours de vie d’immigrés, hommes et femmes, venus de la vallée du fleuve Sénégal et installés dans le bassin de la Seine, en aval de Paris, dans les années 70 et 80. Vous donnez à entendre le récit de plusieurs d’entre eux, et analysez leurs parcours et leurs difficultés de vie en France. Ce livre ne constitue pas, écrivez-vous, « une illustration, mais le complément de la monographie statistique présentée dans le Déni des cultures », les deux livres s’inscrivant dans « la même démarche » : « tenter de brosser un tableau de ces vies en terre étrangère que notre conception de la société tend soit à ignorer, soit à folkloriser sans accepter de regarder la pluralité des cultures comme un aspect structurant de la vie même du courant central de nos sociétés ». Tandis que « les mémoires d’immigrés maghrébins viennent donner une profondeur générationnelle à la chronique des banlieues », vous notez que les immigrés sahéliens ont été l’objet de peu d’études. Les hommes et femmes que vous avez interrogés sont immigrés du Sénégal, du Mali ou de la Mauritanie, issus de différentes communautés africaines : haal pulaar (autrefois dits « peuls ») en majorité, mais aussi soninkés, sérères ou manjaks. Vous les avez rencontrés dans la ville des Mureaux et au Val Fourré, à Mantes-la-Jolie, quartier construit à la hâte sous la pression des besoins de logements de l’industrie automobile à partir des années 1960. Vous décrivez la succession, entre les hommes arrivés en France dans les années 1960 et 1970 et ceux arrivés dans les années 1980, d’une posture de « mimésis », dans laquelle les hommes tentent d’adopter le style de vie proposé en France, à une « affirmation identitaire », constituée par « le retournement de la mise à distance subie en une prise de distance avec le pays hôte ». Vous racontez également le parcours de plusieurs femmes, isolées, victimes de violences et subissant souvent la domination des époux, le « village vertical » des HLM exerçant un contrôle social d’autant plus fort que le quartier est lui-même de plus en plus ségrégé, déserté par les autochtones. Dans le dernier chapitre du livre, vous vous intéressez au lien de ces immigrés au pays d’origine, et écrivez que « Chez [les Sahéliens du Val de Seine], le défaut d’intérêt pour une réussite sociale en France, quelle qu’en soit la forme, paraît rendre plus difficile l’insertion de la jeune génération et accentue la séparation entre les migrants et leurs enfants qui, eux, n’ont pas de perspective de « retour » ».
Dans le dernier chapitre du Déni des cultures , vous défendiez le choix, pour les sociétés modernes, d’une politique d’inclusion , qui passe par la « reconnaissance de la différence ». « Dans les sociétés postnationales et multiculturelles, écriviez-vous, la cohésion ne passe plus par un renforcement de la cohérence par similitude : l’intégration-assimilation n’est pas une nécessité des sociétés postnationales ». Hugues Lagrange, pouvez-vous nous éclairer sur ce concept d’inclusion, que vous opposez à celui d’assimilation ? Quel sens lui-donnez vous ?
Invités
Hugues LAGRANGE, sociologue
Jean-Louis BOURLANGES, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris
Max GALLO, romancier et historien
Thierry PECH, directeur de la rédaction d’Alternatives économiques
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