

Depuis la mort de Mahsa Amini pour un voile mal ajusté mi-septembre, des manifestations ont lieu en Iran. Le régime réplique par des exécutions et des condamnations. Samedi, deux nouvelles exécutions ont eu lieu. La communauté internationale a condamné la répression sanglante des protestations.
- Thomas Gomart Historien des relations internationales, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
- Sylvie Kauffmann Directrice éditoriale au journal Le Monde. Spécialiste notamment des questions internationales.
- Bertrand Badie Politiste, spécialiste des relations internationales
- Gaïdz Minassian Journaliste au Monde, docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po Paris
Les manifestations ne faiblissent pas
Depuis plus de 100 jours, en Iran, le mouvement de contestation contre le régime ne faiblit pas. Les troubles couvrent l'ensemble du pays, des périphéries aux grandes villes. Étudiants, cinéastes, journalistes continuent de prendre des risques en protestant ouvertement pour faire libérer leurs confrères arrêtés. Chaque jour qui passe fragilise un peu plus ce régime. A l’origine c’était surtout des femmes qui descendaient dans la rue. Mais très vite le mouvement a été rejoint par des étudiants. Pour cette génération qui n’a connu que la République islamique, mais qui est née aussi avec Internet, avoir 16 ans ou 20 ans en République islamique d’Iran est perçu comme une malédiction, barrant la route à toute forme d’avenir. Aujourd’hui, leur seul espoir de libération réside donc dans la révolte, quitte à être placé en détention – les sources officielles affirment sans état d’âme que la moyenne d’âge des personnes arrêtées lors des manifestations est de 15 ans seulement.
Des pendaisons et des arrestations pour l'exemple
Chercheurs et ONG ont comptabilisé au moins 500 morts, plus de 18 000 personnes ont été arrêtées, dont des centaines de jeunes de moins de 18 ans, selon Human Rights Activists News Agency. Mehdi Mohammadifard, 18 ans, vient d'être condamné à mort deux fois pour inimitié envers Dieu et corruption sur terre. Son crime : avoir incendié un kiosque de police lors d'une manifestation. Mohammad Boroghani, un autre manifestant de 19 ans, risque, lui, d'être pendu à tout moment après la confirmation, lundi 2 janvier, par la Cour suprême de sa condamnation à mort. Il est accusé d'avoir blessé un gardien de la révolution lors de manifestations. Depuis le début de la révolte, mi-septembre, treize personnes ont été condamnées à la peine capitale. Quatre ont été exécutées dont deux hier matin. “Mohammad Mehdi Karami et Mohammad Hosseini ont été pendus samedi à l’aube, quelques jours après la confirmation de leur sentence par la Cour suprême du pays”. Les deux hommes étaient accusés d’avoir tué un membre des forces paramilitaires le 3 novembre dernier, durant une manifestation à Karaj, à l’ouest de Téhéran. Pour avoir manifesté, Mohsen Shekari et Majiidreza Rahnevard, âgés de 23 ans, ont été pendus les 8 et 12 décembre. Quinze autres personnes sont inculpées d’infractions punies de la peine capitale. Les arrestations de figures connues comme le footballeur Amir Azadani ou plus récemment de l'actrice Taraneh Alidoosti , pour des publications sur Internet, ou le rappeur Toomaj Salehi complètent cette volonté de faire des exemples pour intimider la population...
La répression s'intensifie
Hormis dans la répression, il n’y a eu aucune réaction des dirigeants haut placés. Les autorités peuvent déployer l’Artesh, l’armée régulière iranienne, ainsi que le Corps de garde des révolutionnaires islamiques qui a été fondé en 1979 précisément pour protéger les valeurs de la révolution. Il y a en outre la Basij, ou l’Organisation pour la mobilisation des opprimés (Sazeman-e Basij-e Mostazafen), établie en 1980 dans le but de museler les dissidents et de réprimer l’agitation sociale.
Dans la répression, les deux principaux points de fixation sont le Kurdistan et le Balouchistan, deux provinces peuplées de minorités non chiites et historiquement rebelles, auxquelles s’ajoutent les étudiants à travers le pays.
Le 30 septembre par exemple, les forces de l'ordre avaient tiré sur des manifestants rassemblés à Zahedan ville située au Balouchistan, pour protester contre le viol d'une adolescente de 15 ans qu'aurait commis un policier. Au moins 92 personnes avaient été tuées lors de cette journée baptisée "vendredi sanglant" par les défenseurs des droits humains, d'après l'ONG Iran Human Rights.
En parallèle, les autorités iraniennes ont multiplié ces derniers mois les arrestations de ressortissants étrangers ou binationaux, en accusant les pays occidentaux d'encourager le soulèvement du peuple iranien depuis la mort en détention de Mahsa Amini.
Des dissensions au sein du régime ?
Au sein du régime, les failles apparaissent. Plusieurs élus réclament un référendum pour sortir de la crise. Certains des plus hauts dignitaires religieux concèdent même aux manifestants le droit de critiquer leurs dirigeants et dénoncent la violence utilisée, comme l’ayatollah Assadollah Bayat Zanjani. Avant lui, l’ayatollah Javad Alavi-Boroujerdi, l’un des plus hauts dignitaires religieux du pays, avait affirmé que le peuple iranien avait "le droit de critiquer ses dirigeants". Tous deux ont été menacés par courrier par la direction du séminaire de Qom. Mohammad Khatami, qui fut président de 1997 à 2005 et considéré comme moins conservateur que les dirigeants actuels, a salué le slogan "femme, vie, liberté" des contestataires.
Si quelques ayatollahs et certains responsables politiques ont émis des critiques sur le "tout répressif", aucun craquement important n’a été relevé chez les deux principaux piliers du régime : les puissants gardiens de la révolution et le clergé chiite, notamment à Qom, leur épicentre. Aucune fissure de grande ampleur n’a en outre été relevée dans l’appareil de sécurité, pas même dans l’armée régulière. Un pouvoir affaibli devrait donc survivre à une contestation, inédite depuis l’instauration de la République islamique en 1979, qui pourrait se transformer en mécontentement larvé et probablement durable.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration