Myriam Lang et Dunia Mokrani (ss. dir.) : Au-delà du développement. Critiques et alternatives latino-américaines (Éditions Amsterdam) / Revue** Brésil(s)** 2014 N°5 Dossier Le coup d’état militaire 50 ans après (Editions MSH)
René Dumont, Bourdieu, Foucault et Derrida peuvent reposer en paix, leur héritage n’est pas mort. En Amérique latine, à la faveur des changements démocratiques, développement durable, décolonisation et mise en cause de la domination masculine, déconstruction des modèles dominants de la croissance et des dispositifs de pouvoir sont à l’ordre du jour des débats et des initiatives politiques. C’est ce que montre cet ouvrage collectif, qui émane d’un groupe de travail sur les alternatives au développement, lié au bureau régional de la Fondation Rosa Luxembourg à Quito, en Équateur et qui s’est établi dans la région andine, les yeux rivés sur trois nations-laboratoires : l’Équateur, la Bolivie et le Venezuela. Comme disait Adorno, les grandes idées circulent parfois comme une bouteille à la mer, on sait d’où elles partent mais leur point de chute est imprévisible.
Ces pays, comme beaucoup d’autres en Amérique latine, connaissent ce qu’on appelle la « malédiction des ressources naturelles », ou encore le « mal hollandais », nom donné aux conséquences néfastes de la découverte aux Pays-Bas d’importants gisements de gaz, dans les années 70, et qui avait entraîné une forte inflation et une dévaluation du florin portant préjudice aux exportations et à l’économie. En Amérique latine, ce sont les hydrocarbures, l’extraction minière et l’agrobusiness qui jouent ce rôle délétère, même dans des pays dont les gouvernements sont réputés favorables aux programmes sociaux et soucieux de réduction de la pauvreté. Paradoxalement, ceux-ci ont emboité le pas à leurs prédécesseurs pour d’autres raisons, mettant la rente pétrolière ou minière au service de leur politique sociale, sans mettre en cause la dépendance qu’elle induit, le modèle de développement basé sur l’extraction des ressources au détriment de l’industrialisation, la corruption et les dégâts à l’environnement. Comme le soulignent différentes contributions, cette activité fait en outre abstraction des coûts sociaux et environnementaux qui ne sont pas inclus dans la valeur finale des produits. On peut ici se référer aux travaux de l’anthropologue Jacques Weber, pionnier du développement durable, qui estimait que pour conserver la disponibilité des ressources et des services qui nous sont vitaux, il fallait raisonner en termes de coût du renouvellement, lequel dépend de l’importance du prélèvement et non du prix de la ressource, de son extraction ou des investissements engagés. Un exemple à propos d’un projet de la construction d’une autoroute entraînant la destruction des aquifères, c’est-à-dire ces formations géologiques ou rocheuses poreuses ou l’eau circule et qui peuvent contenir des nappes phréatiques : il fallait selon lui intégrer au projet « le coût permettant de restaurer ou de conserver ces aquifères ».
Comme le relève le spécialiste uruguayen en écologie sociale Eduardo Gudynas, cette malédiction des ressources naturelles a été décrite par la Banque interaméricaine de développement comme une sorte de fatalité : « plus un pays est riche en ressources naturelles, plus lent sera son développement et plus grandes ses inégalités internes ». C’est contre cette fatalité que s’insurgent ceux qui refusent de laisser couler en pure perte ce qu’Eduardo Galeano avait appelé « les veines ouvertes de l’Amérique latine ». Il y a d’ailleurs un important aspect sociétal et culturel à ces initiatives latino-américaines en faveur d’une alternative au modèle unique, néolibéral, de développement. Dans ces régions où les peuples traditionnels revendiquent et ont souvent obtenu la reconnaissance de leurs droits sur les terres de leurs ancêtres, d’autres modèles sont postulés, liés à ce qu’on désigne comme le buen vivir , dont la catégorie centrale n’est plus l’accumulation mais la vie, en phase avec la vision du monde indigène. Cette notion a d’ailleurs été inscrite dans les constitutions de l’Équateur et da la Bolivie. Et à la jonction de la justice sociale et de l’écologie, le mouvement dit de « la justice environnementale » intègre ces revendications en les associant aux principes de bien commun, de droits de la nature et d’ancrage dans les territoires.
Jacques Munier
Revue Brésil(s) 2014 N°5 Dossier Le coup d’état militaire 50 ans après (Editions MSH)
C’était le premier d’une vague de régimes autoritaires qui se sont installés en Amérique du Sud, en réplique inverse à la révolution cubaine. Le 31 mars 1964 l’armée prend le contrôle de l’Etat pour vingt-et-un ans. Dans la foulée l’Argentine, deux ans après, puis la Bolivie en 1971, l’Uruguay et le Chili basculent dans la dictature militaire. 50 ans après, les archives parlent, et notamment sur les conséquences du putsch sur le mouvement ouvrier, ou livrent des listes de présumés tortionnaires établies par les associations de victimes ou les avocats afin de lutter contre l’oubli et l’impunité. La dictature fait fuir de nombreuses personnes, en particulier les artistes. On s’intéresse à leur exode et notamment à ceux d’entre eux qui se sont installés à New York.
Au sommaire
James N. Green, « Paradoxes de la dictature brésilienne » ;
João Roberto Martins Filho, « Adieu à la dictature brésilienne ? »
Maria Celina D'Araujo, « Le Congrès et le coup d'État de 1964. La démocratie libérale brésilienne posait-elle un problème institutionnel ?
Marco Aurélio Santana, « Les métallurgistes de Rio de Janeiro et le coup d'État de 1964 »
Maud Chirio et Mariana Joffily, « La répression en chair et en os : les listes d'agents de l'État accusés d'actes de torture sous la dictature militaire brésilienne »
Daria Gorete Jaremtchuk, « Horizon de l'exode : l'insertion d'artistes brésiliens à New York »
Marcos Napolitano, « Art et engagement politique lors du processus brésilien de retour à la démocratie : la question des "patrouillles idéologiques" (1978-1981) »
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