Au voleur ! / Revue Tracés

France Culture
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Frédéric Chauvaud et Arnaud-Dominique Houte (ss. dir.) : Au voleur ! Images et représentations du vol dans la France contemporaine (Publications de la Sorbonne) / Revue Tracés N°26 Dossier Pirater

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« Un voleur est un homme rare – affirmait Balzac dans le Code des honnêtes gens – La nature l’a conçu en enfant gâté elle a rassemblé sur lui toutes sortes de perfections : un sang-froid imperturbable, une audace à toute épreuve, l’art de saisir l’occasion, si rapide et si lente, la prestesse, le courage, une bonne constitution, des yeux perçants, des mains agiles, une physionomie heureuse et mobile… » Même si la physionomie esquissée manque plusieurs traits idéal-typiques de la représentation que la littérature, la presse, la caricature et même la peinture ou le cinéma se sont fait du personnage du voleur au XIXe puis au XXe siècle, elle exprime bien la fascination exercée par ces figures de monte-en-l’air, pipeur, vendangeur, desgobischeur, riffaudeur et autres coupeurs de bourse. L’époque est aussi à la sensibilité libertaire et aux conceptions anarchistes du vol, sorte de restitution de la prédation capitaliste, ce dont Balzac se fait aussi l’écho dans l’ouvrage cité en relevant que « tout le monde ou presque vole » et que celui qu’on stigmatise comme criminel ne fait qu’exercer au grand jour ce que les autres pratiquent en douce.

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Pourtant, dans ce XIXe siècle qui a érigé la propriété en valeur suprême, le personnage romanesque du « gentleman cambrioleur » n’est pas représentatif du petit peuple délinquant qui se retrouve aux assises et encourt dans certains cas la peine capitale, lorsqu’un vent de panique souffle sur les notables qui composent le jury face à la perspective d’un assaut généralisé contre la propriété privée. Le dénommé Delattre, qui fait la une du Petit Parisien en 1879, n’a commis aucune violence et son pauvre butin est constitué d’un réveil-matin, de casseroles de cuivre et de boutons de manchette mais son vibrant plaidoyer en faveur du vol lui vaudra la guillotine. C’est cette tension entre l’interdit moral et l’esthétique de la cambriole que décrivent les différents auteurs de cet ouvrage collectif, à une époque ou le vol tend à devenir le « contentieux majeur » recensé par la justice. Elle instruit alors 89% des affaires contre seulement 30% au début du siècle. Cinq ans de travaux forcés pour le vol d’un drap s’abattent ainsi sur la bohémienne de 18 ans Eva Dilman et le président du tribunal exulte en se félicitant explicitement de cette victoire de la morale, unique justification de la sévérité de la peine. La veuve Chauvin, « septuagénaire misérable », écope d’un an de prison pour avoir dérobé une gerbe de blé pendant la nuit. C’est l’effet de ce que les auteurs désignent comme une « culture de l’angoisse » : accroître le sentiment d’insécurité. À l’époque considérée – je cite « le vol prend la place d’infamie autrefois dévolue aux crimes contre la religion ».

Faire sortir de l’anonymat les personnages sublimes ou dérisoires, chevaleresques ou pathétiques, violents ou ordinaires de cette épopée antagonique n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage. Les conséquences de la mise en lumière et en scène de ses acteurs sur les mentalités et l’esprit du temps sont diverses et variées. En peinture, « la figure du brigand fait souffler – je cite – un vent de liberté dans une peinture qui reste dominée par les convenances classiques » et même « un souffle barbare qui pimente la rhétorique classique des Grecs et des Romains ». C’est peut-être ce vent qui poussera les postimpressionnistes, comme Pissarro, Signac, Seurat et d’autres, à adhérer aux idéaux anarchistes. Dans les journaux illustrés, la caricature oscille entre tragique et comique, fomentant la catharsis autour des modèles contrastés du truand de « haut vol » et des petites mains de la délinquance ordinaire. La chronique judiciaire dans la presse se cantonne en général aux cas les plus flamboyants mais les détails qu’elle dévoile apportent leur contribution à la fresque en clair-obscur qui se dégage de l’assemblage aléatoire de profils perdus. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, alors que disparaissent les dernières grandes bandes de voyous, l’obsession du crime organisé et du caractère industriel de la rapine se répand dans les tribunaux. On cherche désespérément les complices. Relayée par le grand chroniqueur judiciaire de l’époque, Albert Bataille, la défense du voleur nommé Knobloch s’emploie à démontrer que sa supposée bande n’est qu’une fable. Lorsqu’on lui oppose ses propres aveux où il incrimine un comparse, il répond qu’il a menti. « Les mamans croient toujours qu’on a été entraîné par le complice ! – ajoute l’accusé – Ainsi moi, quand maman vient me voir, je lui dis : « C’est ce misérable Gilles qui m’a fait ce que je suis ! » Gilles en dit autant à sa mère sur mon compte. Ça fait plaisir aux mamans. »

Jacques Munier

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Revue Tracés N°26 Dossier Pirater

http://traces.hypotheses.org/category/numeros/n-26-pirater

On retrouve ici la même ambivalence et ce n’est guère étonnant, pour beaucoup le piratage est une forme de vol. Entre incarnation de la liberté absolue et ennemi du genre humain selon l’expression ancienne de Cicéron, le pirate contemporain écume les espaces du net, et c’est essentiellement cette figure moderne qui est étudiée ici.

L’identification des hackers aux pirates est d’ailleurs revendiquée par eux en forme de retournement du stigmate pour développer une symbolique de la transgression. Approche pluridisciplinaire

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