Emmanuel Désveaux : Avant le genre. Triptyque d’anthropologie hardcore (Editions EHESS) / Revue Journal des anthropologues N°132-133 Dossier Anthropologie des eaux
L’auteur souhaite apporter l’éclairage de l’anthropologie à la question du genre et de la différence sexuelle, différence qui semble bien constituer le noyau dur des organisations sociales – d’où l’expression hardcore employée dans le titre. Le triptyque s’ouvre sur trois continents : l’Amérique, dont Emmanuel Désveaux est spécialiste, l’Australie, où cette différence est très marquée au point que dans les représentations aborigènes hommes et femmes ne sont pas considérés appartenir à la même espèce, et enfin l’Europe, où il se prévaut de sa simple expérience, successive ou simultanée, de fils, d’amant, de mari et de père, ainsi que de quelques lectures ou d’analyses iconographiques comme celle de la scène biblique de la nativité, ou bien la symbolique du coffre liée au féminin dans toute une série de situations littéraires et picturales. Sa conclusion, au terme de ce parcours à la fois ethnographique, livresque et géographique c’est qu’il y a bien une universalité de la polarisation des sexes, même s’il reste loisible de considérer que celle-ci serait arbitraire, au sens de déconnectée de la biologie, un peu comme on parle de l’arbitraire des signes linguistiques par rapport à la réalité qu’ils décrivent. Avant le genre mais non pas avant l’histoire, donc, et l’auteur soupçonne les théories du genre de se comporter à la manière du marxisme ou du structuralisme dans les années 60-70, exerçant une forme d’impérialisme intellectuel qui s’impose à toutes sortes de disciplines différentes. Sous la thématique du genre, il craint en effet – je cite « que ne se nichent des dispositifs théoriques à fort contenu idéologique ».
C’est par le petit bout de la lorgnette qu’il ouvre son triptyque : un seul texte concernant un seul clan de la tribu indienne des Meskwaki, également appelés Fox , les Renards , du fait de leur goût prononcé pour la couleur ocre dont ils s’enduisent le visage et le corps, et qui vivent aujourd’hui en Iowa. Ce texte, c’est la liturgie du « paquet cérémoniel du hibou », un sac contenant des objets de pouvoir, dépouilles ou fragments de dépouilles animales et artefacts divers qui symbolisent une sorte de texte, à la fois cosmologique, mythique et liturgique et que l’apprentissage de l’écriture alphabétique par ces Indiens tout au long du XIXème siècle permettra de retranscrire pour le plus grand bonheur de l’ethnolinguiste Truman Michelson. Celui-ci recueille auprès d’un informateur, Alfred Kiyana, les longs récits mythiques et de fondation rituelle qu’Emmanuel Désveaux analyse ici, un texte qui rassemble à lui tout seul les grands thèmes de la pensée sauvage amérindienne et constitue ainsi un accès direct à sa conception de la dualité sexuelle.
Après avoir décrit le mode d’emploi du paquet, le texte rapporte l’épopée d’un couple « primordial » composé d’un homme et d’une femme qui subissent ensemble une initiation destinée notamment à leur faire comprendre le langage des hiboux, animal totémique par excellence. Leurs aventures, expression d’une forme de parité sexuelle, révèle que la relation entre les sexes, par définition synonyme de différence s’avère être celle qui véhicule le plus grand nombre de représentations, de « sollicitations du registre rituel » et en fin de compte, la première des relations sociales. Black Rainbow et Deer Horn , le couple porte des noms paradoxaux qui sont à eux seuls tout un programme, comme le montre l’auteur, notamment Deer Horn , celui de la femme, qui signifie « Corne de cerf » alors que la chasse est l’activité masculine par excellence, mais ce qui est ainsi désigné, c’est le rôle des femmes dans le portage du gibier qui, s’agissant du cerf, peut se faire à l’aide de ses cornes et non comme c’est traditionnel, par le moyen d’un bandeau frontal. Deer Horn exprime donc la complémentarité fonctionnelle des deux sexes dans l’activité primordiale qu’est la chasse une activité pourtant dévolue aux hommes, la cueillette et la culture étant réservées aux femmes.
Ce dualisme se décline à tous les moments de la vie sociale et apparaît, au terme des descriptions de l’anthropologue comme un élément fondamentalement structurant de la société, à commencer par celui qui rythme l’alternance des saisons, qui adopte lui-même un double régime, hivernal et estival. Les femmes doivent ainsi se tenir à l’écart de certaines cérémonies en hiver alors que leur présence est explicitement requise en été. Et surtout le dualisme s’incarne jusque dans le rang acquis à la naissance, selon un principe qui assigne à chaque individu sa place dans la lignée en fonction d’une nomenclature binaire qui transcende même les appartenances claniques. A un individu A doit nécessairement succéder un individu A’, auquel succède à nouveau un individu A, instaurant dans la fratrie une nouvelle dualité. Je passe sur les détails concernant la parenté, dont la complexité n’aura pas échappé à ceux qui sont un minimum familiers des constructions savantes de la pensée sauvage.
En Europe, le motif canonique de la nativité dans l’iconographie chrétienne illustrerait selon l’auteur, tout comme d’autres thèmes iconographiques et poétiques, une valorisation potentielle de la femme en tant que telle, qui fait que la dissymétrie des sexes est paradoxalement plus prononcée en Occident qu’en Australie ou en Amérique.
Jacques Munier
Revue Journal des anthropologues N°132-133 Dossier Anthropologie des eaux
Coordonné par Barbara Casciarri et Mauro Van Aken
Pour l’anthropologue, l’eau est une ressource éminemment sociale, dont l’appropriation et l’usage engendre des réseaux de sociabilité économiques, politiques et culturels, ainsi que des formes de dépendance, d’exclusion, de solidarité ou de conflit. L’eau cristallise également le rapport à la nature et au milieu, l’organisation du territoire, les institutions, les relations de pouvoir, les systèmes de valeur et les identités. Ce sont toutes ces dynamiques derrière l’hydraulique qu’explorent les différentes contributions à ce volumineux dossier
Anthropologie et eau(x) : affaires globales, eaux locales et flux de cultures B. CASCIARRI, M. VAN AKEN
Espace hydraulique, espace social dans les Hautes Terres malgaches.
L’interdisciplinarité à l’épreuve du terrain G. BÉDOUCHA, J.-L. SABATIER
Waters as creative forces for social relations in Ras Al-Khaimah Emirate F. LANCASTER, W. LANCASTER
De la matérialité de l’irrigation. Réflexions sur l’approche de recherche utilisée O. AUBRIOT
Enjeux sociospatiaux de la grande hydraulique.
Cas de l’Établissement Al-Assad dans le projet de l’Euphrate (Maskané – Syrie) Roman-Oliver FOY
Water politics within the Palestinian nation-state building. The case of the Dheisha refugee camp and the Bethlehem district (West Bank) A. DE DONATO
Le sourcier du village est cadre à Dakar : la circulation de l’eau au Sénégal entre privatisation et attachement au terroir V. GOMEZ-TEMESIO
Literacy, translation, practices: groundwater location under stress in South Kordofan (Republic of Sudan) E. ILLE
Water ownership as form of pastoral adaptation: the case of the Garri of southern Ethiopia F. STARO
Les réseaux d’approvisionnement en eau à El Islote (Colombie).
Un indicateur des dynamiques sociopolitiques locales Luisa ARANGO
L’eau comme vecteur de compréhension des transformations sociales et religieuses d’un quartier périphérique du Sud-Est du Mexique (Chiapas) Carine CHAVAROCHETTE
Water in Azraq (Jordan): a fluid link between state and society S. JANSSENS, Z. THILL
The clouds of the paramount chief. Interpreting the taboo of rainwater
among the Kasena of North-Eastern Ghana G. MANGIAMELI
Ethnographie d’un dispositif de gestion publique des eaux :
à propos des paradoxes de la « mesure » hydrologique J. RIAUX
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