Éric Dacheux (ss. dir.) : Bande dessinée et lien social (CNRS Éditions) / Revue Télévision N°5 Dossier La télévision avant et après : vers le transmédia (CNRS Éditions)
« À l’heure des réseaux socionumériques et de l’interactivité, comment expliquer le succès des albums de bande dessinée ? » demande le spécialiste des sciences de l’information et de la communication qui a coordonné cet ouvrage collectif. Pourtant, comme le montre ici même Magali Boudissa, la BD est déjà passée sur le web, notamment au Japon et en Corée où elle représente près d’un quart du marché, avec les e-mangas, en particulier. Il n’empêche, la forme album semble beaucoup moins menacée que le livre par la lecture numérique. Un chiffre parmi d’autres : plus de 250 millions d’exemplaires vendus pour le seul Astérix. Il se peut que cela ait un rapport avec les premières émotions visuelles de notre enfance. Sans doute aussi avec le dispositif de la planche, son caractère intrinsèquement esthétique qui s’accommode mal de la fragmentation qui limite la liberté du regard de parcourir les cases dans tous les sens – une liberté dont savent jouer les auteurs, alternant le modèle du « gaufrier » et les gros plans où les vignettes sortent du cadre, en attirant l’attention du lecteur vers une phase cruciale de l’action, voire en l’y faisant rentrer. Thierry Groensteen, qui a beaucoup écrit sur la bande dessinée, avait forgé le concept de « solidarité iconique » pour rendre compte du caractère « surdéterminé » des images du fait de leur coexistence et de leur articulation dans les dispositifs de la « suite », de la série ou de la séquence. Une chose est sûre, la lecture de la bande dessinée requiert une intervention mentale, une sorte de co-construction de la part du lecteur, ce qu’Éric Dacheux désigne comme « une activité critique de déconstruction/reconstruction du sens ». C’est pourquoi il parle à ce sujet d’un « lien social qui libère ». Et Dominique Wolton enchaîne : « C’est une autre fenêtre ouverte sur le monde, plus sensible, moins prisonnière des normes professionnelles qui encadrent les mass medias et, du même coup, elle constitue souvent une critique implicite du monde médiatique ».
Un bon exemple de cet écart à la norme est évoqué par Christophe Dabitch, qui examine le rapport entre journalisme et reportage en bande dessinée, lequel a acquis ses lettres de noblesse avec, par exemple, Joe Sacco et ses enquêtes en Bosnie ou en Palestine. Il y a même aujourd’hui une revue qui s’est spécialisée dans ce genre, La Revue dessinée , dont j’ai parlé à ce micro, avec des enquêtes approfondies sur le gaz de schiste et ses conséquences géopolitiques ou la société française Amesys qui avait vendu à Kadhafi un système d’interception des communications électroniques grâce auquel il a pu surveiller ses opposants et en expédier quelques uns en enfer. Qu’apporte de spécifique ce mode de traitement de l’information ? Jean-Christophe Menu, qui l’a pratiqué, estime que la « sursaturation d’images ordinaires » équivalant à leur « inexistence », c’est comme si « le reportage devait se trouver un nouveau langage pour redevenir humain ». Joe Sacco, quant à lui, affirme son scepticisme face au concept de « journalisme objectif ». « Je crois – ajoute-t-il – qu’une personne extérieure aborde toujours un sujet avec ses propres préjugés. En me mettant en scène, je dévoile ce grand « secret » au lecteur ». Et il est vrai que ses reportages donnent constamment à ses interrogations, ses doutes, ses émotions voix au chapitre, mettant en exergue la position du témoin. Étienne Davodeau, l’auteur de Rural ! , la chronique politique et écologique de trois militants de la Confédération Paysanne, considère que – je cite « raconter, c’est cadrer. Cadrer, c’est éluder. Éluder, c’est mentir. L’objectivité est un leurre. » Toutes choses égales par ailleurs, la distinction que fait Jean Hatzfeld entre les formes d’écriture du journalisme et de la littérature pourrait parfaitement s’appliquer à notre sujet : « Quand on écrit un article, on essaie de répondre aux questions de ses lecteurs et quand on écrit un livre, on tente de répondre à ses propres questions ».
Jacques Munier
Revue **Télévision ** N°5 Dossier La télévision avant et après : vers le transmédia (CNRS Éditions)
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