David Harvey : Brève histoire du néo-libéralisme (Les Prairies ordinaires) / Revue du MAUSS N°43 Dossier Du convivialisme comme volonté et comme espérance (La Découverte)
La vision rétrospective a ceci d’éclairant qu’elle fait apparaître des logiques et des enchaînements souvent indécelables dans l’actualité immédiate. David Harvey est géographe et si la carte mobile des progrès de la néolibéralisation qu’il dresse à l’échelle de la planète donne corps à la réalité d’une expansion mondiale du néolibéralisme, sa mobilité est toujours fonction d’événements historiques, de particularités politiques et culturelles décantées dans le temps, qui conditionnent cette expansion et dont les adeptes du « fondamentalisme libre-échangiste », quoiqu’ils en aient, sont contraints de tenir compte, comme on peut le voir dans les négociations en cours du Traité transatlantique, malgré leur opacité. L’intérêt principal des analyses du géographe new-yorkais réside précisément dans le croisement de ces deux dimensions – géographique et historique – pour mettre en évidence, dans le tourbillon des crises, des programmes de réduction de la dette publique et des réformes antisociales, l’émergence d’une classe économique dirigeante, consciente d’elle-même et disposée à faire la guerre, même au sens propre, pour conforter et augmenter son pouvoir et sa richesse au détriment du bien commun.
« Le discours néolibéral est devenu hégémonique » et ce n’est pas par la force des évidences qu’il s’est infiltré dans le sens commun mais au prix d’une manipulation de la notion de liberté et d’une intense et déterminée opération de lobbying intellectuel. Au départ, il y a la constitution de ce groupe d’économistes connus sous le nom de « Chicago Boys » du fait de leur attachement aux théories néolibérales de Milton Friedman, alors professeur à l’Université de Chicago. Ce groupe fut invité à plancher sur la reconstruction économique du Chili après le coup d’état de Pinochet. Il y avait en son sein des Chiliens dont la formation avait été assurée par un programme mis en place dans le contexte de la guerre froide pour contrer l’influence de la gauche en Amérique latine. Le résultat est connu : démantèlement de toutes les formes d’organisation populaire, comme les centres de santé communautaires dans les quartiers pauvres, « libéralisation » du marché du travail, notamment à l’encontre des syndicats et surtout, négociations de prêts avec le FMI de manière à imposer les solutions économiques néolibérales : privatisation des biens publics et des ressources naturelles comme de la protection sociale. C’en était fini du compromis de classe entre le capital et le travail qui prévalait au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, l’offensive s’est portée sur tous les fronts – universités, médias, édition, tribunaux – pour diffuser la bonne parole. Think Tanks, Fondations et autres entreprises de lobbying généreusement dotées se sont développées, faisant dire à certains que – je cite « le milieu des affaires apprenait à faire des dépenses en tant que classe ». Dans le même temps, les terrains d’essai se sont multipliés, à commencer par la ville de New York après l’accroissement de son déficit en 1975, l’Angleterre de Margaret Thatcher ou encore l’Irak « libéré » et aujourd’hui l’Europe, alors que la notion de référence des néolibéraux – la liberté – subissait une forme de clivage sans précédent, devenant celle de quelques uns au détriment de tous les autres. Karl Polanyi l’avait prédit en distinguant la bonne et la mauvaise liberté : celle « d’exploiter ses semblables » ou « d’amasser des profits considérables sans rendre pour autant service à la communauté, la liberté d’empêcher les inventions technologiques d’être utilisée pour le bien de tous » et l’on pense ici notamment aux médicaments contre le SIDA. C’est ainsi que l’idée de liberté s’est dégradée en simple défense de la libre entreprise. Et qu’on a pu entendre des idéologues comme Fareed Zakaria affirmer que « l’excès de démocratie est la principale menace pesant sur la liberté de l’individu ». Insensiblement, la liberté a changé de camp et de nature, on peut en suivre dans ce livre la trajectoire fallacieuse jusque dans le sens commun. Mais il faut comme l’auteur rappeler cette évidence : « les hommes qui vivent dans la misère ne sont pas des hommes libres ». Et si l’on s’attarde sur l’exemple de l’économie émergente de la Chine, on peut voir que sa conversion au libéralisme ne s’est pas, tant s’en faut, traduite par une libéralisation de la société, au sens des libertés politiques, d’expression ou d’information.
« La liberté est un bon cheval, tant qu’on le mène quelque part » disait jadis le poète et critique Matthew Arnold. « Où les Irakiens sont-ils censés mener ce cheval de la liberté qu’on leur a offert par la force des armes ? » demande aujourd’hui David Harvey.
Jacques Munier
Revue du MAUSS N°43 Dossier Du convivialisme comme volonté et comme espérance (La Découverte)
David Harvey parle dans son livre de la variété « étourdissante » des formes de lutte contre l’emprise du néolibéralisme, qu’il faudrait pouvoir connecter entre elles, en voici un bon exemple.
« En juin 2013 paraissait un petit livre intitulé Manifeste convivialiste. Déclaration d'interdépendance . Signé par 64 intellectuels français ou étrangers (rejoints par une cinquantaine d'autres), il a déjà été traduit, au moins sous sa forme abrégée, dans une dizaine de langues. Sa parution montre qu'il est possible de surmonter les clivages trop nombreux, qui condamnent à l'impuissance tous ceux qui s'opposent pratiquement ou/et intellectuellement au règne du capitalisme rentier et spéculatif. Qu'est-ce qui réunit ces auteurs d'inspirations idéologiques très variées ? Trois certitudes au moins : 1) qu'il y a urgence à mettre en avant et à expliciter tout ce qui unit plutôt que ce qui sépare ; 2) que nous ne pouvons plus espérer faire reposer l'adhésion à la démocratie sur de forts taux de croissance du PIB, devenus improbables ou délétères ; 3) que notre défi principal n'est pas tant d'imaginer des solutions techniques, économiques et écologiques à la crise, que d'élaborer une nouvelle pensée du politique au-delà du libéralisme »
Présentation, par Alain Caillé et Philippe Chanial I / Du convivialisme comme volonté et comme espérance A) Introductions générales au convivialisme Les tâches d'un mouvement convivialiste, par Patrick Viveret * La lutte contre les inégalités, un objectif et une méthode, par Philippe Frémeaux * Transition écologique ou choc de la finitude ?, par Bernard Perret Care et convivialisme. Un commentaire du Manifeste convivialiste , *par Elena Pulcini * Mesure et démesure, par Roland Gori Pour une démarche convivialiste. Sortir du néolibéralisme, *par Gus Massiah * Une indispensable offensive intellectuelle collective, *par Marc Humbert * @ La nature symbolique et les usages du « Bien vivre », *par Paulo Henrique Martins * @ Des « transitions démocratiques » interminables, par Ahmet Insel * B) Qu'un monde plus convivial est possible, souhaitable et nécessaire. Quelques exemples Le convivialisme existe, je l'ai rencontré, par Jacques Lecomte * L'économie sociale et solidaire, vecteur du convivialisme, par Claude Alphandéry * Convivialisme, luttes sociales et économie solidaire, par Jean-Louis Laville * Sciences de gestion et convivialisme : concevoir l'agir responsable, *par Armand Hatchuel * Inverser la courbe du chômage ?, par Dominique Méda * Travailler dans une France convivialiste, par Jean-Baptiste de Foucauld Une école plus conviviale ?, par François Flahault * Démocratie, populisme et élitisme..., par Antoine Bevort * Vers une ville convivialiste. Introduction de la maîtrise d'usage, par Anne-Marie Fixot * @ Les données sur la nature entre rationalisation et passion, *par Andrew Feenberg * Convivialisme et individualisme altruiste, par Sylvain Pasquier Une laïcité conviviale, *par Jean Baubérot * Rétablir la confiance en ravivant le sens du vivre ensemble, *par Pierre-Olivier Monteil * Création de formes convivialistes, *par Sylvie Gendreau * Un mode de vie convivialiste à la montagne, *par Jacques Beaumier * C) Fondements théoriques, prolongements, accords et désaccords La vie sociale comme fin en soi. Contribution théorique au convivialisme, *par François Flahault * Du mythe de la croissance à l'Homo convivialis , par Francesco Fistetti Quelques remarques sur le Manifeste convivialiste, par Christian Lazzeri * Quelques questions sur le convivialisme, par Elena Pulcini * Un convivialisme mondial, *par François Fourquet * Le convivialisme vu de Turquie, *par Ahmet Insel * Quelques réponses à..., par Alain Caillé @ « Tous les droits pour tous... et par tous. » Citoyenneté, solidarité sociale et société civile dans un monde globalisé, *par Philippe Chanial * La bonne vie pour tous !, *par Thomas Coutrot * Fragments d'une politique convivialiste (pour la France), par Alain Caillé @ La religion de l'humanité de Fredéric Harrison. Positivisme contre ploutonomie, par Eric Sartori Hunger Games . La violence de l'arène, la force du don, *par Mark Anspac * Le sens de la nation. Marcel Mauss et le projet inachevé des modernes, par Francesco Callegaro @ Construction sociale et modes d'existence. Une lecture de Bruno Latour, *par Jean-Michel Le Bot * @ Le capitalisme de la valeur contextuelle. La perspective de la générativité, par Mauro Magatti et Laura Gherardi @ La politique des profanes. Formes d'action politique et pratiques de citoyenneté des jeunes adultes, *par Nicolas Pinet * Bibliothèque @ @ « Luttes des classes sur le web ». À propos d'un numero de la revue Multitudes , par Simon Borel
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