Casquettes contre képis / Revue Z

France Culture
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Manuel Boucher , avec Mohamed Belqasmi et Eric Marlière : Casquettes contre képis. Police de rue et usage de la force dans les quartiers populaires (L’Harmattan) / Z revue itinérante d’enquête et de critique sociale N°7 Dossier Thessalonique/Grèce

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« Uniforme contre survet… une veste contre un gilet, casquette contre képi ça va clasher » Les paroles, qui ont inspiré le titre de l’ouvrage, sont signées Raggasonic, groupe français de raggamuffin, autant dire une version très édulcorée des expressions utilisées par les jeunes des banlieues à l’encontre de la police mais l’allusion est claire à la baston, qui pour certains est devenue une variante low cost de la pratique des sports extrêmes. En face d’eux, une police trop souvent excessive dans l’usage de la force et insuffisamment présente sur le terrain au quotidien, accusée par la population des quartiers d’être arbitraire, brutale et raciste. Commanditée par la HALDE, la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, cette enquête de ce qu’il est convenu d’appeler « sociologie des turbulences » a amené les auteurs et leurs équipes à pratiquer l’immersion en milieu hostile à Paris, Saint-Denis et Marseille, et l’intérêt de leur travail tient notamment à ce qu’ils ont pris en compte l’ensemble des acteurs ainsi que leurs représentations réciproques : les jeunes et la police mais aussi les intervenants sociaux et les habitants. Le moins qu’on puisse dire est que le malentendu règne en maître, ce dont les enquêteurs ont fait d’emblée l’expérience : considérés avec suspicion par les policiers malgré tous les sauf-conduits délivrés par le ministère, suspectés d’être en mission d’évaluation camouflée pour le compte d’une institution qui ne fait pas mystère de ses soupçons, à l’égard des fonctionnaires de police, de pratiques discriminatoires et racistes, ils ont souvent été accueillis avec agressivité par les jeunes : « Qu’est-ce que tu veux, t’es un indic ? »… « Vas-y dégage », et comme les questions roulaient sur leurs rapports avec la police, certains n’ont pas hésité à leur dire en quelques mots et de la manière la plus crue ce qu’ils en pensaient.

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Mais peu à peu les langues se sont déliées, allant même jusqu’à la volubilité, en particulier de la part de policiers saisissant l’opportunité de faire remonter des informations sur les dysfonctionnements ou le mal-être des fonctionnaires de terrain. Du côté des habitants, l’unanimité s’est faite sur le rejet des interventions sporadiques et brutales d’une police cantonnée au maintien de l’ordre et contre les débarquements de « cow-boys » inconnus dans le quartier alors qu’une présence régulière permet des actions plus efficaces en profondeur et instaure une atmosphère de sécurité. Dans certains cas ce type d’opérations à la cosaque est même à l’origine des flambées de violence et des émeutes urbaines. Les auteurs analysent cette doctrine d’emploi de la force, exclusivement orientée vers la répression et le maintien de l’ordre, et peu préoccupée de prévention comme un effet de la politique du chiffre, au détriment de la politique du résultat. Ils lui opposent le modèle de la « police communautaire » mise en place au Canada, un équivalent de notre « police de proximité ». L’idée est de maintenir « une relation harmonieuse » avec les citoyens, et « de se rapprocher de la communauté plutôt que de l’affronter physiquement », en particulier à l’égard des « groupes minoritaires », tout en s’attaquant, non seulement au crime, mais aux attitudes « qui favorisent l’apparition de comportements criminels », selon la théorie dite de la « vitre brisée ». Il s’agit d’éviter que les incivilités non sanctionnées ne finissent par créer un terrain favorable à des délits plus graves, suivant le processus ainsi décrit – je cite : « si la vitre d’une usine ou d’un bureau est brisée et n’est pas réparée, le passant conclut que personne ne s’en inquiète. Bientôt toutes les vitres seront cassées et le passant pensera alors, non seulement que personne n’est en charge de l’immeuble, mais que personne n’a la responsabilité de la rue où il se trouve. Finalement, il y aura de moins en moins de passants dans les rues. Les opportunités de délinquance vont augmenter en même temps que le sentiment d’insécurité ».

L’enquête a duré deux ans. De nombreux moments forts la ponctuent, comme la rencontre de ce jeune officier de police issu d’un milieu bourgeois et que rien ne prédestinait aux quartiers dits « sensibles » et surtout pas sa formation. Malgré le choix qu’il a fait d’intégrer une compagnie d’intervention à cause des poussées d’adrénaline que provoquent les confrontations violentes, il défend l’idée d’une régulation de l’usage de la force, car, dit-il, « la violence on peut y prendre goût » et il raconte comment, au cours du premier passage à tabac auquel il lui a été donné d’assister, il a tenté d’arrêter son collègue en lui criant d’arrêter, ce que l’autre a fini par faire, prétextant qu’au départ il croyait qu’il s’adressait au cambrioleur pour lui demander d’arrêter de crier…

Les auteurs donnent quelques pistes pour éviter ce qu’ils appellent la « coproduction de la violence ». En particulier au moment de la formation des policiers inclure un véritable apprentissage du discernement, un mot et une disposition d’esprit sur laquelle ils insistent beaucoup. Pour ce qui est du contrôle de la force légitime afin qu’elle ne dégénère pas en violence illégitime, ils proposent de ménager le rôle du jugement des pairs, les collègues. Et que l’évaluation professionnelle prenne aussi en compte la satisfaction du public. Pour que ce qu’un des policiers enquêtés considère comme un très beau mot, gardien de la paix, reprenne tout son sens

Jacques Munier

Z revue itinérante d’enquête et de critique sociale N°7 Dossier Thessalonique/Grèce

Un bon point d’observation pour voir comment les Grecs s’organisent face à la crise, la Grèce, poste avancé de la mise au pas de toute l’Europe

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