Ce que nous dit la vitesse / Revue Médium

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**Jean-Philippe Domecq ** : Ce que nous dit la vitesse (Pocket) / Revue Médium N°39 Dossier Générations

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« Il y a une sorte d’héroïsation par la mort sur la route du jeune rebelle qu’ignorent totalement la catastrophe aérienne, le naufrage du paquebot, ou l’accident de chemin de fer, fortuits, anonymes, et désespérément collectifs – écrit Régis Debray dans Truismes – La mort automobile est certes dévaluée par la statistique, mais elle a son légendaire, son aura, comme expérience limite, défi suprême du téméraire, punition divine des grands solitaires (la mort en voiture de sport est un mythe littéraire, très « hussard »). » L’observation s’applique à merveille au cas du pilote de Formule 1 Ayrton Senna, dont la mort en direct, il y a aujourd’hui exactement 20 ans au Grand Prix d’Imola, a pu avoir deux milliards de témoins de par le monde, sans compter tous les téléspectateurs qui découvriront les images de l’accident dans les jours suivants, et les trois millions de brésiliens présents aux funérailles nationales, faisant à coup sûr de l’événement le deuil le plus célébré de l’histoire de l’humanité. Il est vraisemblable que le 20ème anniversaire de cette mort spectaculaire sera célébré dans les heures qui viennent avec la même ferveur.

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Dans un autre texte publié dans sa revue de médiologie, le même Régis Debray imaginait que, pour un chercheur des siècles prochains examinant la bibliographie académique de notre époque, l’automobile n’aura été au XXème siècle qu’un phénomène marginal. Dédaignée par les philosophes comme par les historiens – l’histoire des transports étant le parent pauvre de l’histoire des techniques, elle-même secondaire dans sa discipline – ignorée par l’histoire des mentalités et de la culture matérielle, l’automobile, phénomène massif s’il en est, est restée dans l’angle mort de la recherche universitaire. À côté du fameux texte des Mythologies de Roland Barthes, célébrant la DS Citroën comme l’équivalent moderne des grandes cathédrales gothiques, « une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique », à côté des pages de Françoise Sagan consacrées à la vitesse, ou celles de Jean Baudrillard sur la voiture dans Le système des objets , notre chercheur du futur trouvera le livre de Jean-Philippe Domecq, épopée contemporaine des hommes qui ont fait la légende du sport automobile, les pilotes mais aussi les ingénieurs.

La mythologie recycle toujours – et bricole, dirait Lévi-Strauss – des éléments antérieurs où se sont décantées des énergies collectives. Pour la course automobile, elle emprunte selon l’auteur au rituel des tournois et à la tauromachie. Le tournoi renvoie au duel de ces « hommes bardés de fer » se précipitant « les uns contre les autres, de tout l’élan des chevaux lancés au galop ». L’image est de Roger Vailland, grand amateur de bolides et de courses. Elle évoque immédiatement l’autre combat de ces « hommes revêtus de métal », en particulier la rivalité Prost-Senna au sein de la même écurie et la série d’accrochages mémorables qui la ponctuent. La référence à la tauromachie est esquissée par Hemingway dans son livre Mort dans l’après-midi , elle est développée par Michel Leiris dans trois pages de Frêle bruit consacrées au Grand prix de Monza. Pris – selon ses propres termes – d’un « délire épique », il décrit ainsi l’arène du combat : « Au bord de la piste de ciment, que l’on jugerait parfaitement lisse mais dont les joints invisibles font tressauter visiblement les bolides, une voiture de pompiers, une ambulance marquée de la croix rouge et un prêtre en soutane manifestent, de gauche à droite, face aux tribunes, l’ordre très rationnel où sont prévus les secours : techniques, médicaux et, in extremis , spirituels. »

Jean-Philippe Domecq rappelle que lors de l’accident du 1er mai 1994 sur le circuit d’Imola, qui coûta la vie à Ayrton Senna, les secours, accourus dans l’instant s’immobilisèrent à deux mètres de la Williams-Renault désarticulée, n’osant plus s’approcher avec leur appareillage sophistiqué de la voiture représentant la pointe avancée de la technologie moderne, comme s’ils traçaient autour de l’épicentre de la tragédie une sorte de cercle mythologique.

Jacques Munier

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Revue Médium N°39 Dossier Générations

http://mediologie.org/medium/medium-39-sommaire.html

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