Christa Wolf : Lire, écrire, vivre (Christian Bourgois) / Revue **Gare de l’Est ** - Cahiers des mondes de l’est Tome 3 / novembre 2014 – mars 2015 (L’Harmattan)
« La prose crée doublement de l’humain : par l’écriture et par la lecture » affirme Christa Wolf dans l’un des chapitres de ce livre qui rassemble différents textes déclinant exactement la proposition énoncée par le titre, qu’il faut évidemment entendre d’un seul tenant : Lire, écrire, vivre . L’auteure de Trame d’enfance et de Christa T. , qui a rompu avec l’esthétique du réalisme socialiste en vigueur dans son pays – l’Allemagne de l’Est – pour pratiquer ce qu’elle appelle « l’authenticité subjective », témoigne ici encore de la continuité entre l’écriture et la lecture, la mémoire et la vie. Dans le chapitre central auquel je fais allusion – Lire et écrire – elle se demande notamment ce qu’elle serait devenue sans ses lectures d’enfance : « Si je commence à tuer en moi Blanche Neige, immaculée, victime innocente, et la méchante marâtre qui, à la fin du conte, danse avec des souliers chauffés à blanc, j’anéantis un schéma primitif, la conviction fondamentale, d’importance vitale, de l’inévitable victoire du bien sur le mal. » Et si « je ne connais pas Till l’Espiègle, je n’ai pas ri des ruses qu’emploient les faibles pour triompher des puissants. » « En comparant, en expérimentant, en se démarquant – ajoute-t-elle – apprendre peu à peu à se voir soi-même. Se mesurer aux figures les plus intelligibles de tous les temps. »
Toute l’œuvre de Christa Wolf s’inscrit dans cette tension entre lecture, écriture et existence, jusqu’au dernier récit, écrit à la veille de sa mort : August , récemment publié chez le même éditeur et également traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, qui évoque la dernière rotation d’un chauffeur de car de tourisme au seuil de la retraite, entre Prague et Berlin, au cours de laquelle les souvenirs d’enfance se lèvent en pagaille. Mais « August ne sait pas s’il a changé depuis qu’il était enfant » car les émotions et les questions sont restées sans réponse. Du coup l’auteure cite en regard le dernier vers du Roi des Aulnes de Goethe : « Dans ses bras l’enfant était mort ». Le livre est dédié à son mari, l’essayiste Gerhard Wolf, qui lui retourne une postface. On peut lire dans le volume qui paraît aujourd’hui un savoureux témoignage sur leur relation intellectuelle et affective – Lui et moi – une plongée pleine d’humour dans la relation quotidienne de deux intellectuels aux antipodes en matière de caractère mais profondément accordés sur les idées ou l’engagement politique et littéraire. Sauf en cuisine où « les choses se compliquent »… Mais – je cite « Ce qu’il y a de féminin dans sa nature et son comportement et ce qu’il y a de masculin chez moi ont rendu impossible une nette distinction de nos rôles en fonction du sexe. » Le développement attendu de cette observation arrive au chapitre suivant sous ce titre un rien vaudevillesque : M. Wolf attend des invités et prépare un repas pour eux . La crise dure le temps qu’il faut pour décider du menu, soit quelques jours avant de se résoudre au dernier moment…
C’est cette synergie de la littérature et de la vie vécue qui tient Christa Wolf à distance des crédos théoriques du Nouveau roman, bien que sa tentative de renouveler le genre romanesque bourgeois soit contemporaine du courant représenté par Robbe-Grillet. « Il est certain que l’époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule » affirmait-il. « Lui qui voulait, avec son nouveau roman, « constituer la réalité », en vient en fait à pratiquement tenter de donner une minutieuse description d’un monde d’objets dont l’homme numéro matricule ne se détache plus guère comme individu capable de résister, de protester, de se révolter » objecte-t-elle. L’écrivain doit être, selon elle « un homme pour qui écrire est le moyen de fusionner avec l’époque au moment où l’un et l’autre connaissent la plus étroite proximité, la plus riche en conflits et la plus douloureuse. » C’est à propos de Georg Büchner qu’elle le dit, l’auteur de la célèbre nouvelle sur Jakob Lenz, poète suicidaire, disciple de Kant et ami de jeunesse de Goethe. Büchner exilé à Strasbourg à cause de son engagement révolutionnaire est aussi l’auteur d’une Mort de Danton et cofondateur d’une Société des droits de l’homme, il meurt à l’âge de 23 ans du typhus. « Ainsi laissa-t-il aller sa vie », écrivait-il en conclusion de son Lenz . « Qui pourrait nier que nous vivons autant avec Raskolnikov, Anna Karénine et Julien Sorel qu’avec Napoléon ou Lénine ? » demande Christa Wolf.
Jacques Munier
Revue **Gare de l’Est ** Cahiers des mondes de l’est Tome 3 / novembre 2014 – mars 2015 (L’Harmattan)
Un tour d’horizon très complet du grand Est de la vieille Europe où tensions et conflits se multiplient aux frontières minées de la Russie, avec trois grands dossiers illustrés par des reportages photo : l’Ukraine et le Donbass, le Caucase-sud – avec notamment une analyse des influences géorgiennes sur Maïdan et la question ukrainienne, ainsi qu’un entretien avec Leila Alieva, qui dirige un think tank d’études internationales basé à Bakou, sur la répression de l’opposition en Azerbaïdjan. Et enfin un dossier sur la politique étrangère de Poutine : « combien de bulldogs sous le tapis ? » demande Jean-Robert Jouanny en reprenant une célèbre formule de Churchill.
En ouverture à cette livraison, un entretien avec Ales Bialiatski, vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme, qui vient de faire trois ans de prison dans son pays, le Belarus
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