Des origines de l’attachement aux amours humaines / Revue France Culture Papiers

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Claude Béata : Au risque d’aimer. Des origines de l’attachement aux amours humaines (Odile Jacob) / Revue France Culture Papiers N°6

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On raconte que le président américain Coolidge visitant un jour en compagnie de son épouse un élevage de poules, chacun suivit son propre chemin dans la ferme. Arrivée devant un coq qu’elle vit copuler plusieurs fois, la première dame demanda au fermier si c’était normal, lequel lui répondit que l’animal pouvait le faire des dizaines de fois par jour. « Expliquez ça à M. Coolidge », lui dit-elle. Le message transmis, le président demande alors si c’est toujours avec la même poule. « Bien sûr que non ! », lui dit-on. « Expliquez ça à Mme Coolidge »… L’anecdote a donné son nom au phénomène de déclin de l’amour-passion dans le couple, connu sous le nom d’effet Coolidge. Ce que montre Claude Béata, chimie hormonale et neurotransmetteurs à l’appui, c’est que le sentiment qui vient à la fois tempérer et finalement se substituer aux premiers feux de l’amour, l’attachement, est le même que celui qui s’est formé au début de l’existence dans la relation à la mère, celui qui a prêté ses circuits à la relation amoureuse et participé à la mise en place du lien, et qu’il est logique qu’il soit encore là lorsque la passion reflue en suivant son cours naturel. Car la neuroanatomie de l’amour et de l’attachement maternel implique des zones cérébrales très voisines et presque superposables, ainsi que des molécules identiques. Soit un coup de foudre : une personne inconnue l’instant d’avant vous paraît subitement « précieuse et différente ». Sa voix, son odeur, son regard, ses belles jambes vous font un effet tel que vous vous sentez bien comme jamais. Un flot de dopamine vient d’envahir votre noyau accumbens , un ensemble de neurones qui joue un rôle majeur dans le circuit de récompense. C’est également la dopamine qui produit le sentiment de plaisir que nous éprouvons dans l’attachement. Des années après, vous vous en souvenez encore et pouvez décrire les lieux de la rencontre ou la couleur de son écharpe. C’est l’augmentation du taux de noradrénaline dans les centres de la vigilance qui aiguise votre sensibilité aux détails et au contexte. Et c’est le même neurotransmetteur qui est à l’origine de la capacité à concentrer son attention sur les caractéristiques de l’être auquel la petite créature naissante va s’attacher. Aimer rend aveugle, c’est bien connu, les petits ou grands défauts sont occultés du fait de l’effondrement du taux de sérotonine dans les zones corticales de l’esprit critique, exactement comme dans l’amour inconditionnel que la mère porte à son enfant. Ça y est, vous êtes sous le charme, sensibilisés par la dopamine, vos récepteurs à l’ocytocine sont mobilisés et commencent à établir le lien amoureux. Cette hormone est celle de la confiance et du lien social, elle intervient dans les moments les plus forts de l’existence des femmes et des femelles de toute espèce, pour faciliter l’accouchement, notamment. Elle est, comme dit l’auteur, le bolide qui passe sur le pont entre la peur de l’inconnu et le plaisir du reconnu, la voix qui « murmure à tous les petits mammifères de la terre : n’aie pas peur, maman est là ». Et comme la fonction est primordiale, d’autres messagers viennent prêter main forte, comme la prolactine, qui va stabiliser et pérenniser l’effet, exactement comme après l’orgasme, ou les endorphines aidant, vous allez avoir ce sentiment planant de béatitude euphorique qui peut ainsi durer. A partir de là vous êtes accro, attention à la descente. Vous allez vouloir à toute force retrouver le nirvana et tout comme les rats de laboratoire auxquels on a permis de s’administrer à eux-mêmes certaines substances, vous allez doper votre motivation envahissante au détriment des autres comportements, au péril de votre situation sociale, voire de votre vie. Dieu merci, comme l’indique l’auteur, « imprimés en nous, dans nos circuits neuronaux, l’attachement apprend à notre corps, que nous soyons chien, dauphin ou humain, qu’il y a de la sécurité et du plaisir à être aimé et à aimer, et nous ne l’oublions jamais ». Car passée cette efflorescence soudaine de la multiple sensorialité amoureuse vient le temps où l’on change de régime et où le naturel reprend le dessus, en quelque sorte, avec un besoin de tendresse plus marqué chez les femmes que chez les hommes, et chez celles-ci une baisse notable du désir sexuel qui se maintient pour les hommes. Alors il faut savoir alimenter par des attentions quotidiennes « les petits ruisseaux des stimulations sensorielles agréables qui font les grandes rivières d’un attachement durable »

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Vous retrouverez dans le livre de Claude Béata, avec tous ses détails et circuits complexes, ce GPS de notre Carte du Tendre hormonale et neurophysiologique mais l’intérêt de l’ouvrage réside aussi dans la comparaison avec le règne animal. L’auteur, vétérinaire comportementaliste, spécialiste de l’attachement, décrit, exemples à l’appui tout un arsenal de conduites d’attachement, des perroquets aux éléphants en passant par les dauphins, les chevaux, les chiens et les chats et il montre comment ces conduites acquises dès la naissance peuvent ensuite être réinvesties dans la relation aux humains, pour ceux d’entre les animaux qui nous fréquentent au quotidien. Le moins qu’on puisse est qu’à travers ce lien, qui peut être très fort, nous rejoignons en nous ce qui fait notre constitution profonde et notre essentielle condition de vivants, que nous partageons avec les créatures non-humaines.

Jacques Munier

Revue France Culture Papiers N°6

http://www.franceculture.fr/blog-au-fil-des-ondes-2013-05-22-france-culture-papiers-n%C2%B0-6-en-kiosque-et-en-librairie-jeudi-30-mai

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