Stéphane Sirot : 1884 des syndicats pour la République (Le Bord de l’eau) / Revue Vacarme N°68
Force est de constater que la loi du 21 mars 1884 « relative à la création des syndicats professionnels » n’a pas connu la même postérité dans la mémoire collective que d’autres grands textes républicains comme les lois Ferry sur l’école ou celle de séparation des Églises et de l’État. Pourtant, l’acte de naissance de la liberté syndicale et les débats parlementaires qui l’ont précédé constituent un chapitre essentiel de l’histoire du mouvement ouvrier comme du progrès des libertés publiques. Et surtout, ils vont configurer la place et la nature de la représentation syndicale dans notre pays jusqu’à nos jours. C’est ainsi que nombre des défauts que l’on reproche aujourd’hui à nos syndicats proviennent de cette conception d’origine, notamment la culture du conflit préférée à celle de la négociation, la dispersion en différentes organisations trop nombreuses ou le déficit de légitimité dû à un taux d’abstention aux élections professionnelles comparable à celui des scrutins politiques.
Comme le rappelle Stéphane Sirot, c’est sous le Second Empire dans sa phase libérale qu’est adoptée la loi du 25 mai 1864 qui dépénalise la pratique de la grève. Ce principe est donc accepté bien avant celui de l’existence légale des syndicats et ainsi – je cite « les rituels de contestation s’ancrent dans la société plus précocement que ceux de la négociation ». Après l’avènement de la IIIème République, le nombre de grèves est multiplié par trois entre 1879 et 1882 et tout au long d’un siècle, jusqu’à la fin des années 1970 le nombre des arrêts de travail augmente presque continûment, même s’il est vrai que la durée moyenne des conflits ne cesse de diminuer. Par ailleurs, la crainte de voir les syndicats s’immiscer dans la vie politique à une époque où l’influence du marxisme progresse et où le mouvement ouvrier gagne en puissance a amené les parlementaires à ériger un mur d’interdits pour encadrer strictement l’action des organisations syndicales, limitant leur domaine d’intervention à ce qui est désigné comme « les intérêts généraux » des professions et métiers, et ce « exclusivement », un mot – nous dit l’auteur – « à la résonnance électrique et vaguement magique » qui revient comme une obsession dans les discussions. Ce faisant, les parlementaires ont voulu construire un champ syndical « hors-sol » à côté d’un champ politique réputé « inviolable », ce qui n’a fait que développer la culture contestataire.
Ce n’est qu’en 1968, à la faveur des événements, qu’est reconnu l’exercice du droit syndical à l’intérieur des entreprises. La loi de 1884 ne confère pas d’existence au syndicat sur le lieu de travail, ni la faculté de constituer des sections ou de désigner des délégués syndicaux. Et par crainte de la formation de sortes de « parlements ouvriers », les élus de la République ont postulé l’émiettement de la représentation syndicale. Plus les adhérents seront nombreux, pensent-ils, moins il y aura de risque de constitution d’une puissante centrale ouvrière. Waldeck-Rousseau, qui a donné son nom à la loi de 1884, déclare ainsi aux sénateurs : « ce n’est pas un syndicat unique que vous aurez, c’est de nombreux syndicats ». L’histoire apportera une éclatante confirmation a ses vœux : le syndicalisme français, le plus dispersé du monde occidental apparaît aujourd’hui plus éparpillé que jamais.
Les parlementaires ont également beaucoup insisté sur la liberté individuelle, excluant toute forme de contrainte, sauf à de rares exceptions près comme les imprimeurs ou les dockers, contrairement au système anglo-saxon qui impose un monopole syndical de l’embauche, ce qui a fait la force des organisations britanniques ou américaines. Le système belge et de certains pays scandinaves, qui lie le versement d’une partie des allocations chômage à une affiliation syndicale est exclu en France, qui tourne aussi le dos à la conception « organique » du syndicat telle qu’elle est mise en œuvre en Allemagne. « La loi – conclut Stéphane Sirot – préfère l’individuel au collectif et prépare ainsi la fragilité des syndicats, dépourvus de moyens de pression sur les travailleurs pour en faire des adhérents ».
Jacques Munier
Revue Vacarme N°68
Avec notamment Iran, un reportage intellectuel (1978-2014)
Avant-propos par Marie Ladier-Fouladi & Sophie Wahnich qui constatent que « L’aspiration à la liberté qui a présidé à la Révolution iranienne de 1978-1979 demeure malgré sa confiscation par Khomeiny »
Sophie Wahnich relit les révolutions arabes à la lumière des réflexions de Foucault sur la révolution iranienne
Trois poèmes iraniens : Brouillard , Dans cette impasse d’Ahmad Shamlou, et Poupée mécanique de Frough Farokhzad
et une autre image de la révolution, avec les archives de photos publiées dans les journaux et magazines de l’époque.
L'équipe
- Production
- Collaboration