Du Maroc au Yemen, jeunesses arabes / Revue NOOR N°2

France Culture
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**Laurent Bonnefoy ** et Myriam Catusse (ss. dir.) : Jeunesses arabes. Du Maroc au Yemen : loisirs, cultures et politiques (La Découverte) / Revue NOOR N°2

jeunesses
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« La jeunesse n’est qu’un mot » disait Bourdieu qui dénonçait l’approche simpliste opposant deux jeunesses, l’une étudiante et bourgeoise, l’autre laborieuse et populaire. Les différents angles adoptés dans cet ouvrage collectif montrent au contraire que les rapports de classe, s’ils n’ont pas disparu, ne constituent pas la grille de lecture la plus pertinente pour la jeunesse arabe. L’originalité de cette enquête tient aussi à la perspective adoptée : observer les mutations sociales à l’œuvre dans le monde arabe à travers le prisme des loisirs et du temps libre des jeunes. Et elle représente en soi un bon indice de ce renouveau générationnel puisqu’un bon nombre des auteurs sont de jeunes chercheuses et chercheurs issus des pays dont ils parlent.

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Les jeunes – shabab en arabe, à ne pas confondre avec le groupe terroriste somalien qui s’est affublé de ce nom – les jeunes ont un poids démographique considérable dans les sociétés arabes. A titre d’exemple, près de la moitié de la population yéménite a moins de seize ans et la même proportion de la population du Qatar, le pays arabe le plus « vieux », a moins de trente ans. D’où la forte pression dans ces pays sur les marchés de l’emploi ou du logement, ainsi que dans les secteurs de la santé ou de l’éducation. En moyenne, 25% des 15-25 ans ne trouvent pas d’emploi, ce qui explique la forte émigration, à tous les niveaux de l’échelle sociale, des jeunes diplômés aux harraga qui brûlent (harrak ) leurs papiers avant de traverser la Méditerranée.

Les auteurs décrivent aussi des expériences plus ludiques et festives, singulières ou collectives, qui contribuent à « faire génération ». Des conduites à risque des jeunes saoudiens au volant de leurs voitures aux dérives nocturnes d’une lycéenne marocaine vers la prostitution, en passant par les fans du Barça et du Real en Palestine, la subversion des normes de genre par les jeunes saoudiennes qui s’habillent comme des garçons, ou les cours de théâtre dans les écoles chiites du Liban, c’est un tableau contrasté et surprenant que brossent les 38 contributions à cet ouvrage, où il est également question des cafés comme lieu d’émancipation révolutionnaire en Lybie, ou au contraire de nostalgie militante dans ceux de la rue Hamra à Beyrouth, de street art au Yémen, de rap palestinien, de rock marocain ou de la scène underground égyptienne. Et c’est très rafraîchissant.

Si les barrières sociales ont tendance à s’estomper au sein de cette jeunesse arabe, les clivages confessionnels demeurent, en témoigne la part de la religion dans les loisirs, comme le montrent plusieurs contributions. Notamment celle de Laurent Bonnefoy sur le salafisme comme sous-culture étudiante au Yémen, un salafisme apolitique et dit « quiétiste » par rapport au « djihadiste ». Marine Poirier a enquêté, dans le même pays – le Yémen – sur la consommation du qat , un narcotique léger aux effets euphorisants dont on mâche les feuilles des heures durant en bonne compagnie, et qui s’est retrouvé sur les campus protestataires, faisant une sorte de coming-out dans l’espace public de la contestation. Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie, montre que la participation des jeunes à des activités religieuses en contexte musulman n’est pas forcément l’antichambre d’un engagement politique, comme le montre l’exemple des membres de la confrérie soufie qu’il a étudiée à Alep peu avant le conflit, une confrérie où le désir d’engagement le cède finalement à l’adoption d’une nouvelle forme de pratique religieuse plus spirituelle, passant en somme du djihad à l’extase soufie. Et Enrico De Angelis étudie le nouveau monde social et l’usage des réseaux sociaux par les jeunes activistes syriens dans ce qu’ils appellent eux-mêmes en désignant leur pays « le royaume du silence ».

On peut évoquer aussi la contribution sur les initiatives liées au livre et à la lecture à Bagdad, où les frontières confessionnelles sont volontairement effacées pour célébrer l’identité de la ville. Ou celle de Laure Guirguis qui étudie la pratique moderne des chants religieux chrétiens, les taranim , distincts des chants liturgiques coptes, qui expriment souvent la persécution comme le fait distinctif de la communauté copte, un répertoire désormais diffusé sous forme de vidéo-clips.

Jacques Munier

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Revue NOOR N°2

Revue pour un islam des lumières

http://www.noorrevue.fr/

Au sommaire

La rencontre entre Pascal Picq et Malek Chebel, un entretien avec Monique et Michel Pinçon-Charlot recueilli par Jeanne Morcellet, les entêtantes phobies de l’extrême-droite par Grégoire Kauffmann… et dans la rubrique Oxygène la contribution d’Andrée Corvol sur la révolution et le pouvoir des arbres

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