Enquête sur l’Académie française / Revue Europe

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aniel Garcia : Coupole et dépendances. Enquête sur l’Académie française (Editions du moment) / Revue Europe N°1017-1018 Dossiers Vladimir Pozner et Danièle Sallenave

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« Ils sont là quarante, qui ont de l’esprit comme quatre », disait un célèbre poète et chansonnier du XVIIIe siècle en désignant l’Académie française à un ami. Ce dont Jean Dutourd se consolait en avançant que, depuis sa fondation en 1634, l’institution avait abrité 70 à 80 hommes de génie sur 700 membres en tout, en somme 10% d’entre eux, soit en effet 4 sur quarante. On ne sait pas s’il se comptait lui-même parmi les augustes impétrants ayant nom Vigny, Lamartine, Sainte-Beuve ou Victor Hugo mais le fait est que, les fauteuils ne se renouvelant qu’à la mort de leurs occupants, ils n’auront connu chacun en moyenne que moins de vingt récipiendaires, ce qui donne à leur patine le temps de se faire, sans pour autant garantir l’immortalité, comme on peut voir. Railler l’Académie est un exercice toujours recommencé, mais à près de 380 années de distance le livre qui paraît aujourd’hui reconnaît que dans l’ensemble, la Compagnie est à ce jour d’un bon niveau et peut donc prétendre favorablement au saut dans l’éternité. Comme les académiciens sont les seuls à se reproduire, par une procédure de vote certes imprévisible mais animée par un puissant esprit de corps, on peut raisonnablement penser que le dénommé 41ème fauteuil, le plus chargé puisqu’il héberge tous les génies qui se sont vu refuser l’accès à la Coupole, va continuer à s’alléger.

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L’enquête de Daniel Garcia est une plongée dans l’un des derniers salons, littéraires et intellectuels, subsistant à notre époque médiatique. Le vote secret, dont les archives d’une grande sobriété ne laissent que faiblement entrevoir les délibérations parfois houleuses qui le précèdent, est souvent le fruit de combinaisons compliquées. L’histoire de l’institution en révèle quelques épisodes savoureux. Mérimée, qui s’entend dire par l’un des académiciens au cours de la visite rituelle qu’il lui fait : « Vous valez mieux que votre rival, nous voterons contre vous en espérant bien ne pas réussir » commente : « Cette façon de raisonner me casse les bras. » Napoléon III, qui rêva de postuler, illustre une formule exprimée dès les premiers temps de l’Académie à propos d’un candidat embarrassant : « à le recevoir ou à le réfuter, l’embarras était égal. » En tant que protecteur de l’institution, rôle dévolu au chef de l’Etat depuis Richelieu, on lui fit savoir qu’il serait admis d’office s’il déposait une demande. Mais l’Empereur voulait son scrutin. A l’issue d’une discrète élection « à blanc », la majorité n’ayant pas été atteinte, on le fit savoir au candidat, qui renonça. Une autre anecdote révèle le poids de certaines contraintes, en l’occurrence le caractère perpétuel de la nomination. Claude Hagège, dont l’élection semblait pliée au départ, manqua complètement ses visites en ne parlant que de lui et de ses livres. « On a tout de suite senti le type arrogant, imbuvable. Personne n’avait envie de l’avoir assis à ses côtés en séance du jeudi » raconte un académicien. Et son plus actif soutien, Erik Orsenna, se rappelle que l’unanimité se fit contre lui, ses collègues lui confiant : « Vous comprenez, s’il est élu, c’est pour toujours »…

« Sommes-nous 39, on est à nos genoux et sommes-nous quarante, on se moque de nous » disait déjà Fontenelle. Et le même Erik Orsenna évoque ainsi ce qu’on appelle « la fièvre verte » qui se répand dans Paris à chaque nouvelle vacance de fauteuil : « Plus il y a de fauteuils libres, plus vous sentez un air de gentillesse flotter autour de vous ». Dans un livre étonnant Paris n’existe pas , Paul-Ernest de Rattier déplorait le destin des « proscrits de génie » qui s’avisaient de déposer leur carte à l’Institut pour briguer l’un de ces « fauteuils incommunicables », auxquels « on faisait miroiter ce fauteuil… pendant une éternité de vie », les momifiant à la porte du palais Mazarin où ils finissaient « par se faire un ami du suisse ». « Quelquefois à bout de patience – conclue-t-il - ils se rabattaient sur l’académie de Saint-Lô ou sollicitaient l’honneur de faire partie de la société des arts et lettres de Bourganeuf, très-curieux encore d’avoir un allongement quelconque sur leur carte de visite, vierge et nue ». Aujourd’hui, deux fauteuils sont vacants, ceux de Félicien Marceau et de François Jacob. Qu’on se le dise !

Jacques Munier

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