Gilbert Simondon / Revue Techniques et Culture

France Culture
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Jean-Hugues Barthélémy : Simondon (Les Belles Lettres) / Revue Techniques et Culture N°60 Dossier Le cadavre en procès (Editions MSH)

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Comme le rappelle l’auteur, Gilbert Simondon aura tenté de réhabiliter la technique à une époque de technophobie croissante après-guerre, et surtout il l’aura pensée en philosophe. Dans son ouvrage majeur – Du mode d’existence des objets techniques , récemment réédité – il s’est en effet employé à rendre à la technique la place qui lui revient dans la culture et à conférer à l’objet technique un statut ontologique, à côté de celui de l’objet esthétique ou de l’être vivant, en étudiant notamment le sens de sa genèse. Le philosophe dénonce les conceptions qui voudraient que « les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine » et il cherche à comprendre les vraies sources de l’aliénation dont on accuse la technique d’être responsable, en proposant un nouveau type d’humanisme fondé sur une psychologie du machinisme industriel qu’il développe dans ses cours sur la perception, l’imagination et l’invention.

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Il est ainsi le premier à avoir étudié les systèmes techniques de l’intérieur et dans leurs relations à l’homme. L’ouvrage fut salué par des auteurs comme Jean Baudrillard, qui dans Le système des objets cite deux pleines pages de l’analyse du moteur à essence, qu’il juge « essentielle » et Gilles Deleuze, qui s’y réfère dans Différence et répétition , lui consacra un article élogieux dans une revue. « Peu de livres font autant sentir à quel point un philosophe peut à la fois prendre son inspiration dans l’actualité de la science, et pourtant rejoindre les grands problèmes classiques en les transformant, en les renouvelant – écrivait-il – Les nouveaux concepts établis par Gilbert Simondon nous semblent d’une extrême importance leur richesse et leur originalité frappent ou influencent le lecteur. »

La machine ne remplace pas l’homme, au sens où elle serait intrinsèquement séparée de lui, même lorsqu’elle fonctionne de manière automatique. Dans la mesure où elle reproduit un « geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent », elle contient une réalité humaine. Les machines à calculer, par exemple, les premiers ordinateurs, ne sont pas de purs automates. Le philosophe y voit des « êtres techniques » qui au-delà de leurs automatismes possèdent « de très vastes possibilités de commutation des circuits » permettant à la fois de coder le fonctionnement de la machine et de réduire sa marge d’indétermination, laquelle lui permet cependant d’extraire des racines cubiques ou dans le même temps de traduire un texte simple. L’homme intervient dans le réglage de cette marge d’indétermination lorsqu’il s’agit notamment d’échanger de l’information entre deux machines pour les adapter à l’échange optimal de données.

Pour comprendre la nature essentielle d’un objet technique, la relation d’usage n’est pas la plus pertinente car la répétition des gestes estompe la conscience que l’on peut avoir des structures et des fonctionnements internes de la machine. Pas plus que la connaissance scientifique, qui voit dans l’objet technique l’application pratique d’une loi théorique. Il faut adopter le point de vue conjoint de l’ingénieur qui invente, du sociologue qui étudie les usages sociaux et du psychologue qui analyse les processus psychiques concomitants de l’inventeur, de l’usager et de la réalité humaine déposée dans le système technique pour parvenir à saisir le sens du fonctionnement et du développement d’une machine. De même le résultat produit ne suffit pas à définir le système technique car on peut l’obtenir à partir de machines très différentes. Un moteur à vapeur, un moteur à essence, une turbine, un moteur à ressort ou à poids peuvent aboutir à un même développement de puissance et à produire du mouvement mais il y a davantage d’analogie entre un système à ressort comme celui d’une montre et un arc ou une arbalète qu’avec un moteur à vapeur une horloge à poids possède un moteur comparable à un treuil alors qu’une horloge électrique est plus proche d’une sonnette ou d’un vibreur. Ce qui définit un objet technique, pour Simondon, c’est d’abord sa genèse, qui est comme le modèle abstrait de ce qui va devenir, par avancées successives et convergences de structures, de plus en plus concret, et c’est ainsi que se fait le progrès. C’est dans cette optique que Gilbert Simondon étudie le phénomène de l’invention, qui est une réalité à la fois psychologique, interne au chercheur ou à l’ingénieur, sociale, car elle répond à une demande, et technique car elle a sa logique propre. On peut dire pour résumer qu’elle est la résultante de l’imagination anticipatrice de l’homme et de l’autonomie génétique de l’objet.

Jacques Munier

TC
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Revue Techniques et Culture N°60 Dossier Le cadavre en procès

http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100945570&fa=description

Dossier coordonné par Hervé Guy, Agnès Jeanjean & Anne Richier

Comment les sociétés humaines font-elles face au procès de décomposition des cadavres, par quelles transformations pratiques et symboliques. Des ethnologues mais aussi des archéologues, des biologistes, des sociologues, des historiens et des juristes interrogent la grande diversité des techniques funéraires pour contenir la potentielle dangerosité, sanitaire ou symbolique, des corps morts

Au sommaire

Agnès Jeanjean, Hervé Guy & Anne Richier, « Une introduction »

Jean Pierre Gasnier, « L'Enfant mort-né, du futur au plus-que-parfait »

Jacky Gelis, « Un Cadavre qui donne des "signes de vie" »

Isabelle Rodet Belarbi & Isabelle Seguy, « Des humains traités comme des chiens »

Lola Bonnabel et Anne Richier, « Y a-t-il un cadavre dans la tombe ? » ;

Isabelle Legoff, « Cadavres et crémations »

Joël Candau, « Perte d'odeurs et principe vital : le Cadavre en substance »

Elizabeth Anstett, « Des Cadavres en masse »

Agnès Jeanjean et Cyril Landauski, « Comment "y mettre les mains" »

Marika Moisseef, « Requiem pour une morte »

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