Herculine Barbin / Revue Europe

France Culture
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Michel Foucault présente : Herculine Barbin dite Alexina B. (Gallimard) / Revue** Europe** 1022-1023 Dossier Romain Gary

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Ce document, le récit autobiographique d’un hermaphrodite au XIXème siècle, Foucault l’avait publié, assorti d’un dossier historique, en 1978 dans une éphémère collection – « Les vies parallèles » – dont le programme correspond à celui esquissé dans un article de la revue Les Cahiers du chemin sous le titre « La vie des hommes infâmes » : dans la référence inversée à Plutarque, il évoque ces « vies infimes » qui ne sont arrachées à leur anonymat que sous l’impact d’une « rencontre avec le pouvoir ». Tout comme le texte de Pierre Rivière le parricide, il témoigne du goût de Foucault pour l’archive et dans sa postface Éric Fassin raconte le périple du philosophe pour retrouver les traces d’Herculine Barbin dans le couvent de l’île d’Oléron où elle avait suivi sa scolarité de jeune fille. Sur une idée d’Hervé Guibert, qui avait écrit un scénario à partir du récit, et qui l’avait proposé à Isabelle Adjani, Foucault avait projeté de faire un film sur cette histoire. Dans une belle intuition du désarroi et du refus qu’elle exprime de l’assignation à un sexe, à un genre, Adjani avait proposé de jouer le rôle du jeune homme alors qu’elle suggérait son frère pour celui de la jeune fille au couvent.

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Cette indécision et ce trouble quant au genre furent fatals à Herculine Barbin puisqu’il finit par se suicider quelques années après avoir recouvré une identité masculine dont visiblement il n’avait que faire, se sentant davantage lui-même dans cette indétermination où il avait grandi et vécu au milieu des jeunes filles, dans l’univers féminin de la pension d’un couvent. « Herculine Adélaïde Barbin – commente Foucault dans sa préface – ou encore Abel Barbin (…) a été l’un de ces héros malheureux de la chasse à l’identité ». « Elle se plaisait, je crois, dans ce monde d’un seul sexe où étaient toutes ses émotions et tous ses amours, à être « autre » sans avoir jamais à être « de l’autre sexe ». « Ni femme aimant les femmes, ni homme caché parmi les femmes ». Dans cette « intense monosexualité de la vie religieuse et scolaire » – je cite encore – dans « ces limbes heureuses d’une non-identité » Herculine finit par délivrer son secret à l’occasion de la visite d’un médecin venu l’ausculter pour des maux de ventre. Et c’est pour elle – pour lui – le début d’une lente et douloureuse métamorphose qui l’expose à tous les pouvoirs : médical, moral, administratif.

Foucault repère ce récit à la Bibliothèque nationale alors qu’il travaille sur l’Histoire de la sexualité . Dans sa préface il rappelle que longtemps l’hermaphrodite a bénéficié d’un statut reconnu par la médecine et la justice, qui lui accordait cette indétermination de genre en admettant qu’il puisse avoir deux sexes. Ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle, avec l’apparition des théories biologiques de la sexualité et l’évolution de la condition juridique de l’individu que les formes de contrôle administratif des États modernes ont conduit à rejeter « l’idée d’un mélange des deux sexes en un seul corps ». Il a fallu alors faire son choix, s’en remettre pour cela à l’expertise médicale et s’en tenir à cette identité consignée par l’état civil. Oublier les errements de la nature qui pourraient inspirer les fantasmagories du libertinage et opter pour le « vrai sexe » car c’est là qu’on commence à cette époque à définir la vérité des êtres, la plus secrète et profonde, dans ce qui était jusqu’alors – la sexualité – dévolu à la dissimulation et à la honte. « Au croisement de ces deux idées – qu’il ne faut pas nous tromper en ce qui concerne notre sexe et que notre sexe recèle ce qu’il y a de plus vrai en nous – la psychanalyse a enraciné sa vigueur culturelle », conclut Foucault.

Sa préface intitulée « Le vrai sexe » était destinée à l’édition américaine et ne figure pas dans la première édition française de ce texte en 1978. Judith Butler s’y réfère abondamment dans son livre Trouble dans le genre et l’on peut considérer avec Éric Fassin que l’ouvrage a constitué une sorte de « préhistoire des *gender studies * ». L’émergence aux États Unis d’un mouvement intersexe quelques années plus tard lui donnera en outre une actualité politique.

Jacques Munier

Revue Europe 1022-1023 Dossier Romain Gary

http://www.europe-revue.net/sommaire-juin-juillet.html

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