Histoire du buveur / Revue Le Rouge & le Blanc

France Culture
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Didier Nourrisson : Crus et cuites. Histoire du buveur (Perrin) / Revue **Le Rouge & le Blanc ** N°109 Dossier Gigondas, altitude et vieilles dentelles

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cuite
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L’auteur aurait également pu intituler son livre « le cru et la cuite », accentuant ainsi son hommage paradoxal à Claude Lévi-Strauss, qui, on s’en souvient, avait donné pour titre au premier volume de ses Mythologiques Le cru et le cuit. Le cru dont il est ici question ne se réfère pas à l’état d’un aliment mais à l’univers des boissons alcoolisées : c’est d’abord le terroir ou le vignoble, d’où l’expression de Pierre Dac « Les bons crus font les bonnes cuites ». C’est aussi pour le distillateur de nos campagnes – le « bouilleur de cru » – le produit de sa propre récolte, de son « cru », qu’il est autorisé à distiller. Et l’on parle alors de la « cuite » pour désigner à la fois l’opération qui consiste à séparer l’alcool de la masse des fruits fermentés en les cuisant et cette masse elle-même, contenue dans la cuve de l’alambic. La cuite désigne aussi l’état vaporeux de celui qui est cuit, autrement dit : la murge, la biture, la caisse ou la casquette. Etonnant mimétisme des termes qui se rapportent à l’art de boire et de donner à boire, un peu comme si du producteur au buveur il y avait moins que de la coupe aux lèvres.

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C’est cette histoire culturelle et solidaire que retrace Didier Nourrisson, dont on se demande sans malice à quoi il a été biberonné, lui qui a également consacré un ouvrage à la cigarette, l’histoire d’une allumeuse et l’on sait le couple infernal et nécessaire qu’elle forme avec l’alcool. Son livre enchaîne les physiologies de buveurs : le gaulois qui s’adonnait surtout à la cervoise, le buveur médiéval, du temps où les vignes occupaient de telles portions de territoire qu’on finira par en décider l’arrachage là où elles détournent leur part de culture céréalière le buveur moderne, célébré par Rabelais et Ronsard et qui sacrifie à sa passion dans les tavernes, cabarets, estaminets et autres « bouchons » dont se couvre l’hexagone. On dira même « tabagie » pour désigner ces lieux de francs licheurs où l’on conjugue tous les vices en se grisant de volutes et de vin. Enfin le buveur « new look », moins paillard mais plus triste, tourmenté, écartelé qu’il est entre plaisir de boire et contrôle de soi.

Cette série de portraits de buveurs dans leur élément fait écho au thème pictural si répandu, notamment dans la peinture hollandaise et flamande, comme ces Buveurs dans un cabaret de Vermeer de Delft. L’archétype de la scène d’ivresse est sans doute la Gourmandise du tableau de Jérôme Bosch sur Les Sept Péchés capitaux , avec cet homme ventripotent qui dévore une volaille un pichet en main que lorgne et réclame un gamin pendant que son commensal boit à même une carafe dans une scène où le désordre manifeste semble refléter celui qui se répand dans les esprits. C’est d’ailleurs une sorte de stéréotype de la représentation de ce vice de gourmandise, le plus souvent figuré par une femme tenant une coupe ou un pichet de vin. Sur un mode plus joyeux et moins édifiant, le thème de la bacchanale a inspiré de nombreux grands peintres, comme Le Titien, Rubens ou Poussin. Dans sa célèbre étude sur Trois tableaux du vin , le philosophe espagnol Jose Ortega y Gasset analyse les bacchanales de Titien et de Poussin ainsi que l’extraordinaire scène de beuverie représentée par Velasquez dans Le Triomphe de Bacchus , plus communément appelé Los Borrachos , les ivrognes. Les compagnons de Bacchus, rubiconds et hilares ont de solides physionomies ibériques, on les croirait sortis de la première taverne pour poser impromptus devant le peintre dans une suprême galéjade, et le jeune homme qui figure le fils de Pan jette un œil de côté et semble ne pas croire lui-même à la grosse farce. « Velasquez est un athée gigantesque – commente le philosophe – un colossal mécréant. Avec son pinceau il jette les dieux comme à coups de balai. Dans sa bacchanale, non seulement il n’y a pas Bacchus mais il y a même un vaurien représentant Bacchus. C’est notre peintre. Il a préparé le chemin pour notre époque, exempte de dieux, époque administrative où, au lieu de Dionysos, nous parlons d’alcoolisme. »

L’ivresse est également un thème littéraire extrêmement fécond. Didier Nourrisson, qui rappelle le rôle éminent joué par les abbayes dans la culture du vignoble, revient sur cette tradition médiévale des fabliaux moquant le moine gras, buveur impénitent. Le Roman de Renart en donne de nombreux exemples. Mais à l’époque suivante c’est Rabelais qui peaufine cette image de gloutonnerie et de pente fatale des gosiers consacrés, dont il donne sa version inversée dans l’abbaye de Thélème : « toute la vie était employée, non par des lois, statuts ou règles, mais selon le vouloir et franc arbitre ». L’amitié et la solidarité en guise de règlement faisaient que « si quelqu’un disait « buvons », tous buvaient »

Rabelais, qui fréquentait assidûment les tavernes, notamment quand il était médecin à l’hôtel-Dieu à Lyon – c’était à l’enseigne du Charbon blanc - faisait dire au « bien yvres » dans le temple de la dive Bouteille qu’il faut boire éternellement car – je cite « en sec jamais l’âme n’habite ». C’est pourtant à la même époque que François 1er édicte le tout premier texte de répression de l’ivrognerie, un texte très dur où la récidive est sanctionnée par le fouet et la prison, la suivante par l’amputation des oreilles, l’infamie et le bannissement, un édit dont l’extrême sévérité l’a rendu heureusement inapplicable. Car, après tout, petit ou grand, le buveur joue un rôle social et il écrit depuis toujours l’épopée ordinaire d’une humanité qui, comme disait déjà Héraclite, se croit guidée par un enfant qui ne sait pas où il va.

Jacques Munier

nancy
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A retrouver dans L’Essai et la revue du jour

Jean-Luc Nancy : Ivresse (Payot & Rivages)

http://www.franceculture.fr/emission-l-essai-et-la-revue-du-jour-ivresse-revue-critique-2013-03-07

Revue Le Rouge & le Blanc N°109 Dossier Gigondas, altitude et vieilles dentelles

http://www.lerougeetleblanc.com/weblog.php?id=C0_5_1

Gigondas, sous les dentelles de Montmirail

Textes et photos Philippe Barret et Philippe Bouin

Appellation voisine de Chateauneuf-du-Pape qui lui a longtemps fait de l’ombre, ce cru « montagnard » possède un caractère spécifique, plus frais et plus équilibré que la plupart des vins voisins, avec ses notes raffinées de cassis et de chocolat, un vin qui respire la hauteur –vignobles à 300/400 m

Visite des domaines : 6 vignerons et dégustations en pagaille, quel beau métier !

Moulin-à-vent, le roi des crus du Beaujolais

Moulin-à-Vent, du vent dans les ailes…

Beaujolais > AOC Moulin-à-Vent

Moulin-à-Vent 2011 : Richard Rottiers, Richard Rottiers Dernier Souffle , Richard Rottiers Champ de Cour , Moulin-à-Vent 2010 : Pierre-Marie Chermette La Rochelle , Domaine du Meunier-Vigneron/Château Portier Cuvée Prestige , Château du Moulin-à-Vent, Domaine Paul Janin Domaine des Vignes du Tremblay , Château des Jacques, Domaine de la Petite Oseille, Richard Rottiers, Domaine de Prion Vieilles Vignes , **Moulin-à-Vent 2009 ** : Domaine du Granit Cuvée Lucile-Maud , Château du Bourg, Cave du Château de Chénas, Château du Moulin-à-Vent Croix des Vérillats , Château des Jacques Clos des Thorins , Domaine Paul Janin Clos du Tremblay , Richard Rottiers Champ de Cour , Benoît Trichard En Morperay, Christophe Pacalet, Domaine de Prion Vieilles Vignes , Moulin-à-Vent millésimes anciens : Domaine de Prion 2008 Vieilles Vignes , Christophe Pacalet 2008, Domaine de Prion 2007 Vieilles Vignes , Pierre-Marie Chermette 2003 Rochegrès.