John Victor Murra / Revue Sociologie

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John Victor Murra : Formations économiques et politiques du monde andin (Editions de la MSH) / Revue Sociologie N°12 (PUF)

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L’ouvrage, augmenté des contributions d’anthropologues comme Maurice Godelier, Nathan Wachtel ou l’historien de l’économie proche de l’Ecole des Annales Ruggiero Romano, rassemble l’essentiel des écrits publiés de l’américaniste John Victor Murra, qu’on va découvrir pour la première fois en traduction française grâce à Sophie Fisher, qui a longtemps travaillé avec l’auteur, elle en témoigne dans le livre. Murra est une figure singulière, profondément attachante et prémonitoire de l’anthropologie américaine, prémonitoire en ce sens qu’il s’est toujours employé à réintégrer la dimension historique dans ses enquêtes ethnographiques et politiques sur les peuples andins, même si les documents font souvent défaut, raison pour laquelle on a pu considérer et dire ces peuples, comme d’autres, « sans histoire ». C’est pourquoi Murra s’est beaucoup servi, outre les données de l’archéologie, des rapports établis sous le nom de visitas par les fonctionnaires de la couronne espagnole, envoyés pour inventorier les richesses du Pérou, vallée par vallée, village par village et parfois maison par maison. Même si leur lecture est moins excitante que celle de grands chroniqueurs comme Garcilaso de la Vega ou le jésuite Valera, tous deux nés de mères indiennes, ces documents constituent des sources ethnographiques de première main sur la vie quotidienne du temps de la conquête espagnole, à un moment où le passé précolombien ne l’était pas encore et où les autochtones enquêtés pouvaient parler au nom de leur société de questions aussi concrètes que l’augmentation du tribut, les litiges entre communautés à propos des terres ou des cours d’eau, ou la protection d’une population menacée de disparition. Mais il est vrai que cette mise en perspective historique dans l’anthropologie était moins exceptionnelle aux Etats-Unis qu’elle ne le fut longtemps en France, à cause notamment de l’influence du structuralisme.

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Cet intérêt pour les sources, qu’elles émanent du colonisateur ou, à travers leurs observations, des colonisés eux-mêmes, est à mettre en parallèle avec ce que l’anthropologue américain Franck Salomon, étudiant de Murra, appelle dans sa contribution à l’ouvrage, sa « sympathie visionnaire » pour les intellectuels « natifs des empires », peu écoutés à l’époque mais très appréciés aujourd’hui comme « postcoloniaux » ou « subalternistes » : le « chroniqueur indien » Felipe Guaman Poma de Ayala ou l’historien yoruba du Nigeria Komo Kenyatta, le consultant kwakiutl de Franz Boas Georges Hunt, ou encore l’intellectuel akan , le ghanéen Joseph Kwame Boakye Danquah, « dont la morgue tout aristocratique – je cite – lui semblait un amusant contrepoint au ton populiste adopté par l’anthropologie décolonisatrice ». En optant pour ce point de vue collatéral, Murra préfigurait les nouvelles orientations de l’histoire globale, notamment lorsqu’elle se penche sur le fait colonial en privilégiant les échanges entre colonisés et colonisateurs, à rebours de la conception dénoncée par l’historien Frederick Cooper : « Les colonies de l’Europe, rappelle-t-il avec l’anthropologue Ann Laura Stoler dans Repenser le colonialisme, ne furent jamais des déserts à transformer à son image ou à modeler selon ses intérêts pas plus que les Etats européens ne furent eux-mêmes des entités autonomes qui, à un moment de leur histoire, se projetèrent outre-mer ».

Ce grand ami d’Alfred Métraux au parcours étonnant qui illustrait parfaitement la formule de Lévi-Strauss selon laquelle « l’anthropologie est une manière de vivre avec une identité ethnique irrésolue » était né à Odessa en 1916 sous le nom d’Isak Lipschitz, sa famille chassée par la révolution russe en 1920, il avait fait sa scolarité de l’autre côté du Dniestr, en Roumanie où il séjourne régulièrement en prison pour ses démêlés avec la Garde de fer, puis il « monte » à Chicago pour ses études universitaires grâce à un oncle musicien dans un orchestre « tzigane » avant de rejoindre en 1936 la brigade Lincoln engagée dans la guerre d’Espagne. Ajoutant l’espagnol aux nombreuses langues qu’il maîtrise déjà – le roumain, l’allemand, le russe, le français et l’anglais - il sera notamment interprète pour les commissaires politiques russes, ce qui lui permet de prendre la mesure du cynisme stalinien. Gravement blessé à la poitrine et à la jambe lors de la bataille de l’Ebre en 1938, et après un séjour dans un hôpital français près de Perpignan, il fait retour à l’université de Chicago pour parachever sa formation sous la direction de Radcliffe-Brown, sur les conseils d’un ancien étudiant de Franz Boas.

Sa thèse sur l’organisation économique de l’Etat inca est vite devenue un ouvrage de référence avant même d’être éditée, et ce pour de longues années puisque par perfectionnisme il ne consentira à la publier qu’en 1978. Préférant les modélisations régionales aux paradigmes globalisants, il ne donne que des essais ponctuels dans des revues scientifiques confidentielles. C’est aussi par son enseignement et son activisme universitaire en faveur d’une anthropologie humaniste qu’il aura laissé une trace marquante, comme en témoigne son étudiant Frank Salomon : « à une époque où l’humanisme, le scepticisme, la tolérance à l’égard de l’incertitude et l’amour des détails ethnographiques ont de nouveau droit de cité dans notre discipline, on peut dire que son enseignement a bel et bien laissé sa marque ».

Mais je me suis laissé égarer par le personnage, que je découvrais comme la plupart des lecteurs français, lesquels pourront apprécier dans ce livre la robustesse et la précision des analyses du pouvoir politique et économique de l’empire inca. C’est pourquoi je vous propose de rentrer demain dans le détail de ces analyses : l’importance agricole et rituelle du maïs, par exemple, le caractère vertical de l’économie andine ou la fonction symbolique du tissu dans différents contextes sociaux et politiques.

Jacques Munier

Revue Sociologie N°12 (PUF)

Enquête de** Samuel Julhe et Marina Honta**

L’articulation travail-famille chez les conseillers techniques sportifs : situations asymétriques entre hommes et femmes

Les auteurs étudient les métiers de l’encadrement sportif et analysent « les relations entre rapport au travail et organisation de la vie familiale. Si les femmes CTS (Conseiller Technique Sportif) ne semblent pas rencontrer de résistance explicite de la part de leurs homologues masculins, tout indique cependant – je cite - qu’elles sont amenées à s’auto-exclure des missions les plus prestigieuses, voire à entamer une reconversion professionnelle, pour parvenir à mener de front un métier vécu sur le mode de la passion et leur vie conjugale et maternelle. » Maudite conciliation…

Le rapport des bibliothécaires de lecture publique aux auteurs

Cécile Rabot

la manière dont la figure de l’auteur est mobilisée et travaillée par les bibliothécaires de lecture publique au service de la définition de leur identité professionnelle. Les différents types de rapports qu’ils entretiennent avec les auteurs correspondent aux différentes manières dont ils envisagent leur métier, entre transmission de valeurs déjà constituées, participation critique à la construction de ces valeurs et animation culturelle conçue comme construction d’un espace de découverte et d’échange. L’article prend appui sur une enquête menée dans les bibliothèques de la Ville de Paris de 2005 à 2010. D’abord, dans une forme d’allégeance aux valeurs du champ, les bibliothécaires concourent à placer l’auteur dans une position sacrée et à produire la croyance dans la valeur de noms propres (I). Par ailleurs, ils entendent se poser en gardiens du temple, lectores garants de l’auctoritas et contribuant au passage du texte singulier à l’œuvre (II). Enfin dans une nouvelle posture plus ou moins assumée d’animateurs culturels, ils font venir l’auteur lui-même dans le monde des livres qu’est la bibliothèque mais, ce faisant, maintiennent une division des rôles entre créateurs et récepteurs

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