Joanna Nowicki, Catherine Mayaux (ss. dir.) : L’Autre Francophonie (Honoré Champion) Revues Kultura et Nyugat
L’autre francophonie est moins connue, moins instituée que la francophonie d’Afrique, même si de nombreux pays d’Europe de l’Est font partie intégrante de l’Organisation internationale de la francophonie, et notamment la Roumanie, qui est le premier de ces pays à l’avoir rejointe et à avoir organisé un Sommet, en 2006.
Cette Europe des confins, dite de l’Est, est longtemps restée dans l’orbite soviétique ce qui a eu pour effet de geler sa francophilie, considérée par le pouvoir communiste comme un reste d’élitisme culturel, voire un attachement aux suspects relents de colonialisme. Pourtant, comme le rappelle Antoine Marès dans sa contribution à l’ouvrage, elle est bien présente et d’abord comme un héritage , depuis le XVIIIème siècle, époque à laquelle le français était une des principales langues de communication savante dans cette partie de l’Europe. Même le prussien Frédéric II écrivait et s’exprimait en français, en quoi il fut imité dans de nombreuses cours de la région. La chose est paradoxale puisque c’est plutôt la langue et la culture allemande qui ont étendu leur influence depuis lors et jusqu’à nos jours malgré l’expulsion, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de près de 15 millions d’Allemands établis dans cette partie de l’Europe. (*) En fait, après avoir été démographique et culturelle, aujourd’hui économique et industrielle, l’influence allemande aura été d’une nature différente de celle de la langue et de l’esprit français, lié aux idéaux et aux écrivains des Lumières, et par conséquent plus intellectuelle. Cette caractéristique est restée, comme le montre l’ouvrage publié sous la direction de Joanna Nowicki et Catherine Mayaux. La francophonie de l’autre Europe est un « habitus », un patrimoine symbolique partagé par des écrivains et des intellectuels, elle est polarisée par des figures singulières et donne lieu à des échanges souvent personnels, même s’ils exercent en retour leur influence sur la culture des pays d’origine.
L’autre francophonie fait allusion au titre de l’un des plus célèbres de ces « transfuges », le poète et prix Nobel Czesław Miłosz qui, dans son essai intitulé « L’Autre Europe » s’était proposé de « rendre l’Europe plus familière aux Européens », et de fait plusieurs contributions dans l’ouvrage dont nous parlons montrent que la francophonie a su jouer dans les deux sens et faire découvrir des cultures et des littératures méconnues d’Europe centrale et orientale à des européens de la partie occidentale du continent. Cette nouvelle « diplomatie par la langue » aura été paradoxalement encouragée par la chape de plomb qui s’est abattue sur l’est de l’Europe avec les régimes communistes, donnant des ailes aux écrivains et aux intellectuels, et si ce n’est à leur personne, ce qui fut souvent le cas, tout au moins à leurs livres. Zofia Bobowicz fait le bilan des traductions qui ont permis à ces littératures de sortir de leur isolement et il s’avère que la France vient en troisième position après l’Angleterre et l’Allemagne sur ce terrain. Certains auteurs, comme Gombrowicz ou Milosz étant interdits de publication dans leur pays, en l’occurrence la Pologne, c’est souvent grâce à ces traductions que leur œuvre parvenait à leurs compatriotes.
Parmi ces écrivains, certains ont fait le choix difficile de devenir des « transfuges » de la langue et d’adopter le français comme langue littéraire. Le cas le plus connu est celui de Milan Kundera mais avant lui Emil Cioran l’avait fait également. Chantal Delsol étudie ici son rapport paradoxal à la France, pays choisi et dont il a su – je cite – tirer les qualités de ses défauts mêmes, parlant de ce pays « accablé par la chance ». Et Catherine Mayaux étudie sa relation à la langue française, où l’on ne peut pas écrire de façon inconsciente. « Par tempérament, disait Cioran dans un entretien avec Fernando Savater, la langue française ne me convient pas : il me faut une langue sauvage, une langue d’ivrogne », « je m’accorde mal avec son air distingué, il est aux antipodes de ma nature, de mes débordements, de mon moi véritable, de mon genre de misères ». Mais, conclait-il « s’il faut rater sa vie, c’est mieux de la rater à Paris qu’ailleurs ».
François Fejtö (Hongrie), auteur notamment de L’Histoire des démocraties populaires adopte le français comme langue de travail (Pierre Kende)
Leszek Kolakowski, philosophe francophone et francophile, par Jacques Dewitte
Le rôle des revues
Kultura , revue polonaise éditée en France (Maria Delapierre), le titre qui s’impose quand on aborde la question des dissidents
Ou avant elle la revue hongroise Nyugat (Occident) qui regroupaient les meilleurs écrivains et poètes du premier XXème siècle en Hongrie et qui a fait connaître dans son pays, grâce à une intense activité de traduction, les meilleurs auteurs français de l’époque. Par Dorotia Szaval qui revient également sur le fécond dialogue poursuivi entre Imre Kertész et Albert Camus
Jacques Munier
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