L'Europe et la démocratie / revue Projet

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**Antoine Vauchez ** : Démocratiser l’Europe (Seuil) / Revue Projet N° 339 Dossier comment se réapproprier l’Europe ?

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On parle beaucoup du « déficit démocratique » de l’Europe, une expression apparue dès 1979. La crise de la zone euro a grandement contribué à relancer l’accusation. Face aux marchés, les dirigeants européens ont largement abdiqué leur pouvoir au profit d’organes « indépendants » et de procédures de sanction automatiques, en conférant à la Cour de justice de l’Union européenne, à la Commission et à la Banque centrale un rôle éminent dans la conduite des affaires. Et malgré l’augmentation continue des pouvoirs du Parlement, son activité législative a atteint des niveaux historiquement bas durant cette période. Bref, le fonctionnement de l’Union européenne souffre d’un manque de légitimité démocratique. Le constat n’est pas neuf, l’originalité de la thèse d’Antoine Vauchez c’est, à partir de ce constat et de la particularité de la construction politique de l’Europe, de suggérer de développer la « représentativité » de ces institutions indépendantes en favorisant la controverse politique sur leurs missions et leurs mandats, ce qui peut se faire au parlement, et en donnant de la publicité à leurs débats. Car à l’origine – je cite « c’est cette première politique européenne, née sous le signe de l’indépendance et de l’expertise, qui a creusé le sillon dans lequel se meut aujourd’hui encore l’intégration européenne ».

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En somme, c’est en repensant le fonctionnement de ces institutions indépendantes – la Cour de Justice, la Commission et la Banque centrale – et en se situant par conséquent dans la continuité historique de la communauté européenne dès le départ de sa construction que l’auteur voit la possibilité d’une issue aux impasses de l’Europe et au manque d’adhésion qu’elle suscite. « Penser la réforme de l’Europe – je cite encore – avec et non pas contre son histoire ». Car l’idée qui présidait à la constitution de ces autorités indépendantes et supranationales, dotées de mandats précis et techniques qui n’ont cessé de se développer depuis, c’était de créer un espace d’expertise et de décision à l’abri des professionnels de la politique et des enjeux le plus souvent étroitement nationaux qui sont les leurs. Dès la mise en place du Marché commun, ce laboratoire était constitué qui faisait d’un projet technique et économique le lieu d’un ambition politique européenne. Aux yeux des premiers responsables de ces institutions, comme Robert Lecourt qui présidera aux destinées de la Cour de justice de 1967 à 1976, la portée réelle du Marché commun devait être comprise à l’aune d’une « interprétation téléologique » des traités, c’est-à-dire orientée par un but, celui de l’unification des peuples européens, inscrite au préambule du pacte fondateur. Faut-il rappeler ici que la Cour de justice, qu’on confond souvent avec la Cour européenne des droits de l’homme, a pour fonction d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités », jetant ainsi les bases d’un fédéralisme juridique dont le domaine de compétence n’a cessé depuis lors de s’élargir, englobant désormais le droit du travail ? Aujourd’hui, pour les syndicats ou les ONG qui luttent contre les discriminations, il est plus efficace d’adopter la langue économique et juridique du marché intérieur que celle des acquis sociaux. Et face aux atermoiements de la politique étrangère de l’Union européenne, en particulier à l’encontre des manœuvres du voisin russe qui utilise l’arme énergétique comme moyen de pression, par exemple il y a peu à l’égard de la Lituanie, pays membre, on peut rappeler la fermeté des positions de la Direction générale de la concurrence qui déclenche en octobre 2012 à l’encontre de Gazprom des poursuites devant la Cour de justice pour restriction de concurrence sur le marché européen du gaz. Dans cette affaire, la volonté du gouvernement russe de punir le petit pays balte s’est heurtée au fait qu’en voulant sanctionner Vilnius pour son empressement à appliquer la directive européenne concernant l’abus de position dominante, elle s’est retrouvée confrontée à l’Union européenne dans son ensemble à travers l’une de ses institutions indépendantes. Les polonais s’en souviennent comme si c’était hier…

Jacques Munier

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Revue** Projet ** N° 339 Dossier comment se réapproprier l’Europe ?

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Avec notamment la contribution de Denis Clerc qui rappelle que l’Europe n’a pas toujours été gouvernée par le libéralisme et que dès le départ le Marché commun était assorti d’institutions à vocation sociale, qui existent toujours, comme le Comité économique et social qui réunit les représentants des partenaires sociaux et le Fonds social européen destiné à améliorer les possibilités d’emploi.

Et l’interview de l’économiste américain James Galbraith, qui estime qu’en « privilégiant les droits des banques et des multinationales sur ceux des citoyens, les dirigeants renoncent aux valeurs de l’Europe et font le lit de l’extrême droite » …

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