**Marie Anaut ** : L’humour entre le rire et les larmes. Traumatismes et résilience (Odile Jacob) / Revue Humoresques N°38 Dossier Rires africains et afropéens
« Je tiens pour impossible – disait à juste titre Cicéron – même pour le plus amusant des hommes, d’expliquer l’humour avec humour ». En voici la preuve, un exemple extrait de la Critique du jugement d’Emmanuel Kant : « Le rire est un affect procédant de la manière dont la tension d’une attente est réduite à néant »… Désopilant, non ? Lacan, qui déclara lors d’un de ses séminaires « Je suis un clown, prenez exemple sur moi mais ne m’imitez pas », disait pourtant quelque chose d’approchant, en insistant sur le caractère inattendu de ce qui provoque le rire. Selon lui, le comique naît du « rapport de l’action au désir et de son échec à le rejoindre ». Le choc et le rire, l’humour et le désespoir : ces couples d’oppositions définissent bien le phénomène. Raymond Devos le traduisait à sa manière en prétendant que le premier rire a fusé lorsqu’un primitif est – littéralement et dans tous les sens – tombé sur le cul.
C’est ce ressort à double détente qui intéresse la psychologue spécialiste de la résilience. L’humour, le rire sont à la fois un mécanisme de défense, une manière de mettre le malheur à distance et, dans l’après coup, un adjuvant décisif dans la reconstruction post-traumatique. Pour Boris Cyrulnik – je cite « le souvenir résilient ne consiste pas à faire revenir la souffrance passée, mais au contraire à la transformer, à en faire quelque chose, un roman, un essai, un engagement ». On sait que plusieurs facteurs jouent un rôle positif dans ce réaménagement psychique, notamment l’entourage familial, les liens amoureux, amicaux, sociaux. Or l’humour et son corollaire le rire sont des qualités éminemment sociales. Pas étonnant que les psychologues aient tenté de mesurer son impact et de l’intégrer dans leurs pratiques thérapeutiques.
Le rire est en effet un rite d’affiliation sociale, même sous son aspect négatif, lorsque l’ironie mordante ou le sarcasme ont pour effet d’exclure l’autre. « On rit mal des autres quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même » disait Léautaud, qui pouvait avoir la dent dure. Rire c’est aussi montrer les dents, mais en signe d’apaisement. Il y a dans l’humour et le rire une dynamique de paradoxe, un renversement de perspective, un retour à l’envoyeur. Il paraît que certaines histoires juives étaient au départ des blagues antisémites, récupérées et détournées en manière de « retournement du stigmate ». On a même pu faire preuve d’humour dans les camps et après-coup des blagues sont encore en circulation. « Il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un juif que de jouer au Scrabble avec Klaus Barbie » disait Desproges qui, à propos de son cancer, savait aussi manier l’autodérision : « Noël au scanner, Pâques au cimetière ». « Nous sommes tous dans le caniveau – notait Oscar Wilde – mais certains d’entre nous regardent les étoiles ».
Si l’humour et le rire ont une fonction sociale avérée et peuvent même créer « un lien d’attachement », pourquoi les frontières de genre y tracent-elles une différence aussi marquée entre hommes et femmes ? On sait que l’humour est une qualité recherchée par les femmes chez leur partenaire masculin mais que l’inverse n’est pas vrai. Le Père de l’Église Clément d’Alexandrie prescrivait même aux femmes de ne pas rire, sous peine de se comporter comme des prostituées. Et selon Claude Lévi-Strauss (Le Cru et le Cuit ), le rire féminin représente « l’ouverture ludique du corps », il signalerait le consentement à la relation sexuelle. Certains ont prétendu que, dans le cadre de la sélection naturelle, cette qualité recherchée par les femmes aurait, du coup, été davantage développée par les hommes dans leur quête du partenaire sexuel. Le raisonnement se mord la queue, qui de l’œuf ou de la poule, la question reste ouverte, si j’ose dire…
Jacques Munier
Revue** Humoresques** N°38 Dossier Rires africains et afropéens
Afropéen, le terme vient de l’écrivaine d’origine camerounaise Léonora Miano, il désigne les descendants d’Africains, souvent nés en France et qui n’ont plus que des rapports lointains avec l’Afrique
Au sommaire
Marie Fremin Rire et esclavage : une approche renouvelée pour une libération des mémoires ? Une analyse de la comédie de Fabrice Eboué et Thomas Ngijol, le film Case départ. On peut rappeler qu’Aimé Césaire, dans sa pièce de 1969, Une Tempête, avait déjà utilisé la distanciation du rire sur cette question Rémi Astruc Transformations de l’Afrique, transformations du rire Nelly Feuerhahn Images en noir et blanc pour rire avec les proverbes africains Violaine Houdart-Merot Alain Mabanckou ou le rire comme refus du sanglot de l’homme noir Cyril Vettorato Humour et horizons d’attente chez Beatty, Bessora, Everett et Laferrière Rémi Astruc Place des Fêtes : rire et rage à l’orée d’un millénaire qui s’annonce compliqué… Daniel S. Larangé Rire blanc et humour noir Figures grotesques et situations ridicules chez Calixthe Beyala Christina Horvath Humour afropéen dans la métropole postcoloniale Andrew Asibong Marie NDiaye et le rire blanc Christine Ramat Les couleurs du risible sur la scène africaine Alain Cyr Pangop Scènes populaires et aventures théâtrales des humoristes d’Afrique subsaharienne ** Delphine Chaume-Japhet** La caricature de presse à Brazzaville (1990-2006) Inès Pasqueron de Fommervault Relations à plaisanterie et néo-traditionalisme Marie-Madeleine Bertucci Fonction des « vannes » dans la culture urbaine populaire des jeunes ?
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