Caroline Touraut : La famille à l’épreuve de la prison (PUF) / Revue Les Cahiers dynamiques N°53 et 54 Dossier Premiers délits : quelles réponses (Erès)
Caroline Touraut : La famille à l’épreuve de la prison (PUF)
C’est une violation manifeste et répétée du principe de personnalité de la peine. Ce que l’écrivain Abdel Hafed Benotman, ancien braqueur et taulard, appelait le cinquième mur, celui qui s’élève dans la cellule entre le détenu et ses proches, finit par constituer une double peine que subissent parents, conjoints et enfants alors que l’administration pénitentiaire considère officiellement les familles comme un facteur important de la réinsertion sociale et un soutien essentiel à la vie en prison. Le Code de procédure pénale le prévoit même dans l’un de ses articles (D. 404), recommandant à l’égard des détenus qu’il soit « particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches ». Mais qui se soucie de cet aspect de l’incarcération, alors que crédits et personnels manquent cruellement, ne serait-ce que pour assurer une vie et un cadre décents derrière les barreaux de prisons surpeuplées ? Pourtant, le Ministère de la Justice évaluait en 2010 à 140 000 le nombre d’enfants concernés chaque année par l’incarcération d’un de leurs parents. Et il est probable que ce chiffre ait encore progressé alors que la population carcérale a atteint un nouveau record en juillet 2012.
Gwénola Ricordeau avait consacré en 2008 un livre poignant à cette question restée dans l’angle mort de la sociologie carcérale, laquelle s’intéresse davantage à ce qui se passe à l’intérieur des prisons. Mais elle avait adopté le point de vue des taulards, menant son enquête, non sans difficultés, au sein de ce qu’on appelle pudiquement les « lieux de privation de liberté » et qui sont en fait beaucoup plus que ça. (Les détenus et leurs proches. Solidarité et sentiments à l’ombre des murs , Autrement) Dans cette nouvelle enquête, Caroline Touraut a étudié l’impact et les dommages collatéraux de l’incarcération sur les familles. Si nombre d’observations se recoupent, le point de vue est à la fois différent et douloureusement complémentaire. « En quoi la présence des proches auprès des détenus vise-t-elle à « décarcéraliser » le reclus – s’est-elle demandé – mais surtout dans quelle mesure la famille se retrouve-t-elle partiellement emprisonnée ? » De nombreux témoignages recueillis expriment ce sentiment de ne plus s’appartenir : « une partie de ma vie est à l’intérieur », déplore la compagne d’un détenu.
Selon une enquête de l’INSEE citée par l’auteure, plus d’une union sur dix est rompue dans le mois qui suit la détention, ensuite la probabilité diminue mais au total 20% des unions sont rompues au cours de la première année de l’incarcération, 25% dans les deux premières années et 36% dans les 5 ans qui suivent. L’âge et l’ancienneté de l’incarcération jouent évidemment en défaveur de la préservation de relations régulières et Caroline Touraut se demande « qu’est-ce qui fait tenir 80% des couples dans la première année ou encore 64% des couples après plus de cinq ans ». La question est légitime au regard de la réalité qu’elle décrit. Du choc de l’arrestation au petit matin, que l’on décrit comme une disparition, à celui des premiers parloirs, où l’on passe moins de temps avec le détenu qu’à se soumettre aux différents contrôles, tout ça dans un oppressant et constant sentiment d’attente, tout est fait pour décourager bonnes volontés et fidélités au point que certains détenus prennent eux-mêmes l’initiative de rompre pour ne pas infliger cette série d’épreuves à leurs compagne, en aggravant ainsi leur propre isolement.
Ce sont les différents moments d’une vie « suspendue » qui sont ici décrits, avec ce terrible rapport au temps, vécu comme en miroir de celui qui est la dimension centrale de toute expérience carcérale. Celui qu’on passe à attendre des nouvelles après l’arrestation, dont on ignore souvent le motif et qui s’apparente dans de nombreux témoignages à un deuil brutal, et puis les semaines passées avant d’obtenir le premier droit de visite. Un temps sur lequel on n’a aucune prise car les proches sont rarement informés des avancées de l’instruction. Comme les détenus, ils font l’épreuve d’un présent qui se prolonge et d’une vie qui se déroule « au jour le jour » avant le jugement. Dès lors qu’il a été prononcé, Caroline Touraut évoque ce temps saturé qui s’impose à l’entourage du condamné : le temps des démarches, le temps des parloirs, le temps reporté de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. La rigidité des horaires de parloir a notamment causé à plus d’un conjoint la perte de son emploi. Et le temps fragmenté, qu’on divise et mesure jusqu’à l’obsession par petites tranches pour se donner l’illusion d’une maîtrise jusqu’à la libération escomptée, exactement comme le détenu. Les parents qui espèrent que leur fils sera là pour Noël, le conjoint pour l’anniversaire de mariage, les enfants pour le leur… L’entêtante chronique d’une fuite annoncée du temps.
La sociologue a repéré dans la diversité des cas rencontrés trois façons de vivre cette « expérience carcérale élargie ». L*’expérience dévastatrice* , qui est pour la plupart celle des premiers temps de l’incarcération, celle où la loyauté se délite et l’identité s’effrite, submergée par un sentiment de honte, surtout lorsque l’enquête de voisinage révèle à tous la nature du délit. Le sens fait défaut pour contenir la peine, et la culpabilité partagée s’impose pour interdire les rares moments de répit et d’apaisement, des moments que l’on ne peut partager et que l’on ressent comme volés à l’autre. L’autres cas de figure, c’est celui de l*’expérience retournée* , où la perspective rédemptrice permet de faire sens, c’est souvent le cas lorsque la dérive constatée d’un fils ou d’un conjoint fait apparaître la sanction comme un terme salutaire. Et enfin l*’expérience combative,* où l’on assume pleinement son statut de « proche de détenu », où l’on n’hésite pas à dénoncer les failles de l’administration pénitentiaire pour améliorer la condition des détenus, une attitude militante qui est souvent celle des proches de détenus séparatistes, corses ou basques, ou encore de celles et ceux qui ont rencontré leur alter ego en détention.
Jacques Munier
A lire aussi :
Gwénola Ricordeau : Les détenus et leurs proches. Solidarité et sentiments à l’ombre des murs (Autrement, 2008)
Léonore Le Caisne : Avoir 16 ans à Fleury. Une ethnographie d’un centre de jeunes détenus (Seuil, 2008)
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Revue professionnelle de la Protection judiciaire de la jeunesse
Les auteurs insistent sur l’importance du traitement des primo-délinquants pour lutter contre le sentiment d’impunité, mais dans l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945 qui définit les principes de la justice des mineurs, donnant au juge des enfants et non au parquet le rôle central. Une attitude qui est en accord avec les textes internationaux et notamment la Convention des droits de l’enfant qui oblige les Etats qui l’ont ratifiée à prendre des mesures pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire. Mesures de protection, d’éducation ou de réforme après un examen de personnalité. Or la France est un des rares pays à privilégier une politique de sanctions pénales dans le cadre de la primo-délinquance.
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