La méchanceté ordinaire / Revue Le portique

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Francis Ancibure & Marivi Galan-Ancibure : La méchanceté ordinaire (Le Bord de l’eau) / Revue Le portique N°33 Dossier Straub !

méchant
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« L’homme n’est pas méchant – disait Lacan – il est méprisant ». Et il est vrai que la méchanceté procède le plus souvent du mépris, auquel elle vient ajouter comme une touche cruelle de raffinement. Lacan insiste d’ailleurs sur l’étymologie commune de ces deux passions mauvaises. « Méchant a à faire avec le mal par sa première syllabe : mé – observe-t-il. Comme dans médire, dans mépris. La deuxième syllabe concerne le choir. Méchant, c’est méchéance, c’est tomber mal. » Et c’est souvent tomber dans un puits sans fond, la méchanceté se repaissant d’elle même, elle est comme le négatif du désir, avec lequel elle a plus d’un point commun et peut-être le même foyer d’origine. Comme la vengeance, la méchanceté ordinaire se pratique à froid, et sans ostentation, le but étant d’atteindre l’autre au cœur, alors qu’il a baissé la garde, quand la colère avec ses gros sabots élève immédiatement des résistances. Petites piques et coups de griffe, médisance, persiflage, propos vexatoires, moqueries : « Les flèches blessent le corps mais les pointes blessent l’âme » disait Baltasar Gracian. Tout un arsenal de basse intensité, qui opère dans la durée et dont la constance morbide finit par faire mouche. La méthode ici est le harcèlement – le mot vient de herse, l’instrument à dents qui laboure et retourne la terre. « La méchanceté ne détruit pas, elle désagrège » affirmait à juste titre Jankélévitch.

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Sa profonde affinité avec le désir fait du couple un terrain de choix pour les basses manœuvres de la méchanceté ordinaire et son caractère récurrent, toujours en veille, se complait dans la permanence de la cible à portée de mousquet. Mallarmé parlait du « mal d’être deux » en pensant sans doute à cette version dégradée du contrat matrimonial. Dans la méchanceté conjugale, la haine reste en sommeil paradoxal, elle ne demande qu’un prétexte pour se relancer. Freud avait lié « le rabaissement psychique de l’objet sexuel » à la peur de l’inceste. Le psychanalyste Gérard Pommier, cité par les auteurs, rapporte le cas d’une femme qui cultivait « la remarque désagréable dans le cadre de son travail, de ses amitiés, de ses amours, en la réservant de préférence à ceux qui lui plaisent ». Réflexion faite, il s’agissait pour elle d’amener son mari – je cite – à « cesser d’être un enfant », à faire en sorte qu’il « incarne lui-même un instant un père ». Combien de pédagogues n’ont-ils pas sacrifié à ce penchant fatal ? Dans la panoplie des conduites inspirées par la méchanceté lorsqu’il s’agit de suborner l’autre, même l’indifférence feinte peut être une arme de destruction massive. D’après le témoignage de la championne de tennis Isabelle Demongeot, son entraîneur, condamné pour viol de mineures, obtenait d’elle tout ce qu’il voulait en manifestant simplement de l’indifférence.

L’homme est un loup pour l’homme et un prédateur pour la femme. Depuis Platon qui assimilait la méchanceté à une pathologie de la raison et de la volonté – « nul n’est méchant volontairement » – les philosophes ont disserté à l’infini sur cette disposition consubstantielle à l’humanité. Pour certains, comme Nietzsche, la méchanceté est une qualité de l’esprit, la forme supérieure de son acuité. « J’ai le cœur bon et l’œil méchant » fait dire Albert Cohen à l’enfant qu’il a été, exposé à la méchanceté ordinaire de l’antisémitisme, en manière de réponse à la mièvrerie des bonnes consciences. Car si, comme Balzac en fait le constat, certains ont « besoin de plusieurs coups de patte dans la figure avant de croire à une intention méchante », d’autres au contraire en tirent la leçon dès les premières rosseries.

Jacques Munier

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Revue Le portique N°33 Dossier Straub !

http://leportique.revues.org/

Straub désormais sans Danièle Huillet a fait retour à Metz, sa ville natale pour rencontrer autour d’une rétrospective de ses films son public mais aussi des écrivains, des philosophes, des musicologues et historiens de l’art. La revue de Benoit Goetz, Jean-François Bert et Ahmed Boubeker, Le portique, a accueilli l’ensemble de ces échanges et propose en DVD trois entretiens avec Jean-Marie Straub.

Jean-Luc Nancy revient en sa compagnie sur La Mort d’Empédocle, et Jacques Drillon avec François Narboni sur la Chronique d’Anna Magdalena Bach

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Philippe Lafosse, Jacques Drillon, Renato Berta, Benoît Turquety et Léon Garcia Jordan : Débat Sons et Images

Jean-Marie Straub, David Faroult, Olivier Goetz et Jean-Marc Leveratto

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