La mort et ses au-delà / Revue Terrain

France Culture
Publicité

Maurice Godelier (ss. dir.) : La mort et ses au-delà (CNRS Éditions) / Revue Terrain N°62 Dossier Les morts utiles (Éditions MSH)

godelier
godelier

S’il y a un universel indiscutable, c’est bien la mort. Et pourtant les sociétés humaines, dans le passé comme au présent, ont investi cette réalité de significations et de valeurs symboliques extrêmement variées. C’est cette prodigieuse diversité qu’explorent les quatorze contributions à l’ouvrage dirigé par Maurice Godelier, qui fait cependant ce constat paradoxal : au-delà des imaginaires mobilisés et des rituels distinguant les différentes cultures étudiées, nulle part la mort ne s’oppose vraiment à la vie. Elle s’oppose plutôt à la naissance, laquelle consiste dans une combinaison d’éléments – principe vital, ancêtre totémique, le nom qui inscrit dans une lignée, le substrat biologique qui en est le support – et la mort apparaît comme une désarticulation, une disjonction de ces éléments, hormis un « reste » essentiel qui ne disparaît pas : c’est l’âme ou l’esprit.

Publicité

Dans de nombreux mythes d’origine, la mort n’est d’ailleurs pas attachée aux humains à leurs débuts. Comme dans la boîte de Pandore chez les anciens Grecs, ou la chute d’Adam et Ève, elle est souvent associée à une transgression initiale, et c’est en traversant la finitude et le flux du temps que sa réalité s’impose à tous, devenant ainsi un fait social, dont le sens et les représentations peuvent alors être partagées. C’est là qu’intervient la grande diversité des cultures et des pratiques. Pour certains auteurs c’est même le culte des morts qui est à l’origine de la civilisation, en particulier le traitement des corps, que ce soit par ensevelissement, crémation, momification, exposition et décomposition contrôlée ou même ingestion rituelle, bien réelle ou plus métaphorique comme dans certaines sociétés d’Amazonie et de Nouvelle-Guinée où les cendres sont mélangées à des aliments et consommées par les proches.

D’une manière générale la dissociation de l’âme et du corps suppose une mise à l’écart, un processus de séparation du cadavre de l’univers des vivants, qu’il pourrait par ailleurs contaminer. De là proviennent les différentes pratiques de deuil, l’interdiction de prononcer le nom du mort avant longtemps ou, comme en Inde, de cuisiner dans la famille du défunt. Chez les Baruyas de Papouasie-Nouvelle-Guinée, après la mise en terre, l’assemblée présente se met à courir sans se retourner pour regagner le village. En Chine, le rituel funéraire a explicitement cette signification : permettre à l’esprit de rejoindre sans encombre la place qui lui est destinée, et en Inde, pour que l’âme du défunt quitte sa dépouille lors de la crémation, il faut que le principal deuilleur lui fracasse le crâne, d’où elle jaillit alors sous la forme d’une flamme bleue.

Dans les religions dites « du livre », la mort est étroitement corrélée au pouvoir de Dieu, qui lui donne son sens, comme le montre Christian Jambet pour l’islam. Chez les Juifs, l’importance des rites funéraires atteste l’ancrage du défunt dans la communauté et son inscription dans la mémoire collective. Mais peu de sociétés auront été autant imprégnées, façonnées par la pensée de la mort que le Moyen Âge chrétien étudié ici par Jean-Claude Schmitt. Pas seulement parce qu’elle était omniprésente, l’espérance de vie avoisinant les 35 ans, la seule Peste Noire des années 1348-1351 ayant emporté en trois ans le tiers de la population européenne mais surtout parce que la mort – à commencer par celle du Christ – est au cœur de l’idéologie du christianisme, comme système de croyance mais aussi comme système social. Dans la foulée du sacrifice de la Croix, les martyrs se sont empressés de choisir la mort pour témoigner de leur foi et leur « légende dorée » montre une stupéfiante diversité dans l’horreur des supplices.

Nos sociétés modernes individualistes, où la mort est reléguée, ayant dissous son substrat social, manquent de ressources pour lui ajouter du sens. On meurt de plus en plus souvent seul, ce qui provoque le désarroi des équipes soignantes, mal préparées à cette situation, mais sous la pression des questions posées par l’acharnement thérapeutique et la fin de vie, la mort a fait retour au cœur de nos préoccupations éthiques. C’est la raison pour laquelle médecins et juristes se tournent vers l’anthropologie et l’histoire pour re-contextualiser le phénomène et lui restituer son épaisseur humaine, historique et sociale. Au départ, nous dit Maurice Godelier, ce livre a été conçu précisément pour répondre à cette demande.

Jacques Munier

A lire aussi

oppenheim
oppenheim

Daniel Oppenheim : Parents en deuil (Erès)

http://www.editions-eres.com/parutions/psychanalyse/eres-poche-psychanalyse/p3312-parents-en-deuil.htm

« La mort d’un enfant est une des plus terribles épreuves humaines. Surtout quand elle survient à la suite d’une maladie, en raison de la durée de celle-ci et de la fin de vie, ainsi que des espoirs mis dans les capacités de la médecine actuelle. L’auteur décrit, séance après séance, un groupe de parole de parents endeuillés, et analyse les éléments significatifs de leur évolution – avec leurs points communs et leurs différences – vers le dépassement du deuil.

Les soignants, qui sont aujourd’hui davantage formés aux aspects techniques et scientifiques des soins médicaux qu’aux composantes relationnelles, psychologiques et éthiques, trouveront dans cet ouvrage des éléments précieux pour accompagner la fin de vie de l’enfant et le deuil de la famille. Les voix uniques des douze parents du groupe de parole aideront tous ceux qui sont concernés par cette expérience douloureuse, à mieux imaginer le temps du deuil et à commencer à l’apprivoiser. Elles contribuent à leur façon aux débats actuels sur la fin de vie et l’euthanasie. »

Présentation de l’éditeur

mort
mort

Patrick Ben Soussan (ss. dir.) : L’enfant confronté à la mort d’un parent (Erès)

http://www.editions-eres.com/parutions/enfance-et-parentalite/1001-et-+/p3200-enfant-confronte-a-la-mort-d-un-parent-l-.htm

« Quand la mort frappe à contretemps, privant un enfant de l’un de ses parents, les adultes qui l’entourent – parents, fratrie, proches, équipes médicales ou éducatives… - sont souvent démunis pour l’accompagner. « Pourquoi il est mort ? Va-t-il revenir ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? J’voulais pas qu’il crève ! Elle nous a abandonnés. C’est bien de ma faute ! J’en ai rien à cirer. J’vais me tuer pour le rejoindre. » Les mots et les réactions des enfants en deuil sont souvent surprenants, vifs, intenses, absents, silencieux.

Ce livre s’adresse à tous ceux qui accompagnent des enfants confrontés à la mort d’un de leur parent, en espérant les aider à mieux comprendre les réactions de l’enfant ou de l’adolescent en deuil, à trouver les mots et les gestes pour le soutenir dans sa douleur. L’annonce d’une maladie grave, celle du décès, l’organisation de l’enterrement et la manière d’y associer l’enfant ou l’adolescent sont ici abordées, avec le souci de ne surtout pas délivrer des conseils définitifs mais plutôt d’évoquer des pistes de réflexion, des possibilités, des questions à se poser. »

Présentation de l’éditeur

terrain
terrain

Revue Terrain N°62 Dossier Les morts utiles (Éditions MSH)

http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100310210&fa=sommaire

N° coordonné par Vinciane Despret, où l’on évoque les prolongations jouées par certains morts, ceux qui reviennent hanter les vivants, ceux dont l’action est bénéfique, et notamment pour la fécondité des femmes, comme le gisant à l’entre-jambes lustré par l’usage propitiatoire de la tombe de Victor Noir au Père-Lachaise : le mort au service des naissances…

Au sommaire :

Vinciane Desprets, « Des morts utiles »

Vivien García & Milena Maglio, « Redéfinir la mort. Entre nécessités pratiques et discours éthiques »

Olivier Allard, « Des morts pour pleurer. Les usages moraux du deuil chez les Warao du delta de l'Orénoque »

Joël Noret, « Sur le dos des morts ? Organiser des funérailles catholiques à Abomey (Bénin) »

Magali Molinié, « Faire les morts féconds. De quelques pratiques d'instauration »

Guillaume Cuchet, « Les morts utiles du purgatoire. Concept théologique, représentations et pratiques »

Katerina Kerestetzi, « Eros et Thanatos. Les morts au service des relations amoureuses (palo monte, Cuba) »

Alexa Hagerty, « Réenchanter la mort. Les funérailles à domicile en Amérique du Nord »

Grégory Delaplace, « Retoucher les morts. Les usages magiques de la photographie en Mongolie »

L'équipe