La naissance des dieux / Revue Projet

France Culture
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Marc Richir : La naissance des dieux (Sens&Tonka) / Revue Projet N°342 Dossier Religions, une affaire publique ?

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C’est tout autant de la naissance des hommes, concomitante à celle des dieux, et de la fondation théologico-politique de leurs sociétés que nous parle Marc Richir dans ce beau livre où il pousse loin la question de savoir comment s’origine et se légitime le pouvoir dans la matière merveilleuse et instable des mythes grecs. La démocratie –« miraculeuse » invention athénienne – reste hors-champ, si ce n’est dans la critique que fait Platon de sa dégénérescence en démagogie et en tyrannie à cause de l’attrait exercé par le prestige du pouvoir. Et dans un chapitre consacré à la relecture et à la mise en question du corpus mythologique par la tragédie grecque, phénomène contemporain de la démocratie, Marc Richir montre que cette ultime réélaboration – en l’occurrence critique et désenchantée – ne vise nullement à repenser la question de la fondation légitime ou divine du pouvoir, mais déjà, dans la distance creusée à l’égard des dieux et de « l’opacité de leurs intrigues », à – je cite « placer l’homme en face de lui-même comme de l’énigme qu’il est pour lui-même ».

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Dans les récits de fondation, le pouvoir vient des dieux, par généalogie divine et selon un équilibre mesuré, soigneusement entretenu, entre royautés divine et humaine. Toutes les transgressions à cette règle débouchent peu ou prou sur l’échec de la fondation. Dans l’histoire de Périphas, un roi très ancien de l’Attique, antérieur même au premier roi d’Athènes et comme lui « autochtone », c’est-à-dire né de la terre, c’est paradoxalement la grande qualité de son règne, empreint de justice et de sagesse, et donc excessivement bon, qui va détourner les premiers hommes du culte rendu au roi des dieux et, sous l’effet d’un échange symbolique des rôles, témoigner au monarque trop humain l’expression de leur vénération. D’où la jalousie et la colère de Zeus, déterminé à réduire en cendres, d’un coup de foudre, la maison de Périphas, lequel avait eu l’heureuse intuition de s’affider à Apollon, qui intercède en sa faveur. Peine de substitution : il est transformé en aigle, attribut de Zeus également nommé Polieus ou Agoraios , dieu de la cité et des assemblées populaires. Mais pour Périphas, le pouvoir, littéralement, s’est envolé.

À l’origine, dieux et héros, hommes et animaux – en particulier les oiseaux – ne vivent pas séparément et ne cessent de se métamorphoser les uns dans les autres. Leur commune ascendance terrienne – chtonienne – est souvent symbolisée par la figure du serpent, réputé lui-même être né de la terre. À ces époques antédiluviennes, hommes et dieux cohabitent au point de régler leurs différends autour d’un banquet. C’est là que débute l’histoire de Prométhée, par une série d’arnaques et de ruses destinées à favoriser les hommes au détriment de Zeus. À commencer par celle qui consiste à dissimuler les meilleurs morceaux du bœuf sacrifié pour l’occasion et dérober au roi des rois la part du lion, lui laissant des os blanchis, même si enrobés de graisse luisante. D’après Hésiode, là est l’origine des sacrifices que les hommes font aux dieux, en faisant brûler des os enduits de graisse, là aussi l’idée d’une dette à leur égard, là encore le signal d’une séparation entre mortels et immortels qui fonde le politique dans une paradoxale relation au divin.

Si l’on ajoute l’épisode de Pandora, la poupée fabriquée avec soin par Héphaïstos et attifée par Athéna pour jouer le rôle de la première femme, on voit bien que la rupture est consommée entre les dieux et les hommes. Zeus a imaginé la manigance pour se venger du vol du feu par Prométhée, désormais enchaîné. La créature est présentée à Épiméthée, le frère jumeau de Prométhée, qui va ainsi découvrir son état d’être sexué. Et se complaire à entourer d’amour le fléau que Zeus a destiné à l’humanité. On connaît la suite, la boite et le reste…

C’est donc, pour Marc Richir, la naissance concomitante et séparée des dieux comme dieux et des hommes comme mortels qui est la condition de l’émergence du politique. L’idée tardera à faire son chemin mais les relations complexes entre religion et pouvoir temporel resteront marquées, quel que soit le régime, par cette nécessaire distinction.

Jacques Munier

Revue Projet N°342 Dossier Religions, une affaire publique ?

http://www.revue-projet.com/

On le voit de plus en plus, les religions autrefois reléguées dans la sphère privée se font de plus en plus visibles sur l’espace public. C’est peut-être dû au degré de sécularisation de la société. Ce N° de la revue ouvre le débat avec la contribution de Jean-Paul Willaime, qui estime que c’est une chance pour la démocratie, surtout si les religions s’engageant sur le terrain de la diversité culturelle et religieuse cherchent à en faire un atout plutôt qu’un obstacle à l’intégration. Valérie Amiraux poursuit le débat sur le terrain européen en examinant la place de l’islam dans l’Union et les réactions de rejet qu’il suscite parfois. Et elle rappelle que l’espace public est perçu comme le produit d’un consensus culturel qui prime sur les libertés individuelles et sur la pratique religieuse.