La peau, totem et tabou / Revue Feuilleton

France Culture
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Christine Bergé : La Peau. Totem et tabou (Le murmure) / Revue Feuilleton N° 14 La science dans tous ses états

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“Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre” écrit Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux . L’essai d’anthropologie épidermique de Christine Bergé relève de ce type de « frottements », lui qui s’emploie à explorer les résonnances mutuelles de l’écriture et de la peau autour de quatre objets singuliers : un talisman en peau humaine couverte de signes propitiatoires dont Catherine de Médicis ne se séparait jamais, les enveloppes de bandelettes des momies égyptiennes et la délicate procédure de leur déshabillage par les archéologues, les portrait close-up en photographie, où le plan serré, rapproché fait apparaître tous les reliefs de la peau, et le livre en peau d’épaule féminine que Camille Flammarion reçut un jour, en offrande posthume d’une comtesse dont il avait admiré la descente du cou sous les étoiles. « L’homme est un livre dont la peau fut écrite – résume l’auteure – le premier parchemin dont on fit usage pour inscrire des contrats, des marques d’identité ou d’alliance, des marques d’infamie. »

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L’histoire est touchante et macabre à la fois. Réunis sous le ciel étoilé par une commune passion pour l’astronomie, Camille Flammarion et l’une de ses lectrices, une comtesse d’origine étrangère, observent le mouvement des corps célestes. Mais le regard du savant est aimanté par le grain de la peau et la sensualité cosmique des épaules de la comtesse, ce qui n’échappe pas à l’intéressée, laquelle lui promet en retour un cadeau qu’il ne pourrait refuser sans lui faire offense. Atteinte de tuberculose, la jeune femme savait ses jours comptés. Après sa mort Camille Flammarion reçoit un colis accompagné d’une lettre. Le colis contient – je cite « une peau blanche, épaisse, froide au toucher et dégageant une sorte de fluide électrique » – nous sommes à la grande époque du spiritisme. La lettre enjoint le récipiendaire à relier de cette peau le premier livre qu’il s’apprêtait à publier. De retour de chez le tanneur la peau revient « blanche, d’un grain superbe, inaltérable ». Elle formera la reliure de l’exemplaire de tête de Terres du Ciel . Camille Flammarion pousse le raffinement élégiaque et posthume jusqu’à faire décorer les tranches de couleur rouge en les parsemant d’étoiles d’or, « pour rappeler – dit-il – les nuits scintillantes de mon séjour dans le Jura ».

D’un érotisme latent, à la fois totem et tabou, la peau est aussi l’organe le plus étendu et le plus lourd de notre corps. Elle assure notamment la régulation de la température corporelle par la transpiration, qui provoque un rafraîchissement grâce à son évaporation – il est bon de le savoir en ces temps de canicule, de manière à maintenir à niveau notre réserve liquide en buvant sans faiblir. On dit que chez les aveugles sa sensibilité est décuplée, comme l’ouïe ou l’odorat, et que leur toucher le bras ou l’épaule pour les aider à traverser une rue peut être perçu comme une intolérable intrusion. La peau est donc également la surface, la limite et la profondeur. Support-surface pour le tatouage, notamment, l’inscription des signes d’une identité postulée ou accomplie. Chez les Maoris de Nouvelle-Zélande, le tatouage raconte une histoire inscrite à même la peau : le lieu de naissance, le récit des exploits, le parcours d’une vie. Le moko , tatouage intégral du visage, extrêmement codifié et réservé aux premiers-nés des chefs ou aux femmes de très haut rang était un indice certain de pouvoir et d’autorité, comme une écriture politique qui revient d’ailleurs à l’ordre du jour en guise d’affirmation identitaire depuis sa proscription par les prêtres missionnaires de la colonisation.

La peau et l’écriture ont une longue histoire, celle du parchemin par exemple. Lorsqu’au IIème siècle, suite à un différend diplomatique, l’Égypte suspend le commerce du papyrus avec Pergame, la ville d’Asie Mineure décide de développer la technique du « *pergamenê * », la peau de très jeunes veaux, tendue sur un cadre, raclée et assouplie, passée à la craie pour éliminer les traces de graisse, afin de produire les « vélins » dont la souplesse et la finesse étaient recherchées pour les relier, les couvrir de textes ou d’enluminures. En Occident, le parchemin aura longtemps partie liée avec l’art des grimoires et des formules magiques. Il en est resté quelque chose dans la pratique du tatouage.

Jacques Munier

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Revue Feuilleton N° 14 La science dans tous ses états

http://www.revuefeuilleton.com/

Dans Le Sabbat des sorcières , Carlo Ginzburg évoque une vieille coutume du chamanisme européen, liée à la résurrection symbolique des animaux : dans la peau des cerfs tués à la chasse on emballait leurs os et en touchant rituellement le sac ainsi formé avec un bâton, on espérait les ramener à la vie et reconstituer ainsi la ressource cynégétique.

Dans cette livraison de la revue Feuilleton, la science a rattrapé les pratiques chamaniques, elle est en passe de ressusciter des espèces animales disparues, une question qui fait débat, comme le montre Nathaniel Rich : Que le mammouth revienne !

A suivre aussi le reportage de Paige Williams sur l’histoire étonnante des ossements d’un dinosaure retrouvés en Mongolie et qui finissent dans une vente aux enchères, déclenchant un mandat d’arrêt contre le squelette fossilisé, « placé malgré lui au centre d’une controverse qui agita les paléontologues, chasseurs d’os et les Etats américain et mongol eux-mêmes » : Les os de la discorde

Et la mémoire, les animaux de laboratoire fabriqués pour ne plus souffrir, les astéroïdes et les comètes, ce qu’on mange sur la Station spatiale internationale, un voyage dans l’au-delà, un tsunami à Fukushima…