Steve Bloomfield : Africa United (Globe) / Revue Mouvements Dossier Peut-on aimer le football ? (La Découverte)
Même si tous les grands clubs européens comptent au moins un joueur africain dans leurs rangs, le football professionnel a peiné à se faire une place au soleil sur ce grand continent où pourtant, des plages de Freetown aux rues de Mogadiscio, partout les jeunes jouent au ballon rond, même juste vaguement sphérique quand un assemblage improbable de sacs plastiques et de chiffons ficelés peut faire l’affaire. Ancien correspondant pour l’Afrique du quotidien britannique The Independant , Steve Bloomfield a sillonné treize pays du Caire au Cap pour rencontrer les joueurs et les supporters, les hommes politiques et les entraîneurs et dans ses récits, c’est l’histoire de l’Afrique contemporaine qu’il raconte à travers le prisme du football.
L’équipe du Cameroun ouvre le score en hissant la première sélection du continent sur la scène internationale, à l’occasion de la coupe du monde de 1990 en Italie. À l’époque on considérait encore les équipes nationales africaines comme des bandes « de joyeux drilles », débordants d’énergie, adroits comme des diables mais ignorant toute espèce de tactique et négligeant leur défense. Lors du premier match disputé par les Camerounais, en l’occurrence contre les champions du monde, les Argentins, ils épuisent leurs adversaires en leur laissant le ballon la plupart du temps jusqu’au but de François Omam-Biyik. Les Lions indomptables venaient de défaire les champions du monde en titre, envers et contre Maradona lui-même. Au match suivant, contre la Roumanie, Roger Milla, le fougueux et fin dribbleur stéphanois, marque à deux reprises, confirmant l’avancée camerounaise, et il exécute à chaque fois sa petite danse, une main sur son entrejambe, l’autre derrière la tête en se déhanchant frénétiquement, un rite d’exultation repris au quatre coins du monde.
Steve Bloomfield montre à travers différents exemples comment le football peut contribuer à reconstruire un pays ou à consolider une paix signée à la suite d’une guerre. On le suit au Soudan contre le Tchad, en Somalie ou au Kenya, au Congo contre le Rwanda, où les équipes étaient si mélangées, la plupart des joueurs de l’équipe nationale des Guêpes n’étant pas nés sur le sol rwandais, alors que les footballeurs congolais ayant des racines rwandaises avaient préféré intégrer cette équipe, ce qui valut à Saïd Makasi l’auteur de la superbe frappe qui offrit la victoire au Rwanda, d’un niveau bien inférieur au Congo, de voir sa maison familiale réduite en cendres au cours des émeutes que provoqua au Congo cette défaite inattendue. Un autre cas est intéressant, c’est celui de la Côte d’Ivoire, dont la sélection nationale était parvenue à se hisser parmi les meilleures d’Afrique. L’auteur revient sur le match aux allures de derby qui opposa en 2009 ce pays au Burkina Faso. Compte tenu de la porosité des frontières, certains joueurs du Burkina étaient originaires de Côte d’Ivoire et inversement certains footballeurs ivoiriens étaient nés au Burkina. « Nous sommes donc frères – déclare au journaliste Emerse Fae, milieu de terrain à Nice – Peut-être qu’on ira tous faire la fête ensemble après le match, mais samedi à 17h, il n’y aura pas de « frère » qui tienne ». Steve Bloomfield rappelle le rôle crucial que le foot a joué dans la résolution de la guerre civile.
Il évoque aussi le rôle ambigu, pour ne pas dire plus, que jouent toute une kyrielle de centres de formation pour les jeunes qui veulent réaliser leur rêve à Abidjan, certains de ces centres étant qualifiés de « fantômes ». Pour offrir à leur enfant une chance de pratiquer sa passion en Europe, certains s’endettent jusqu’au cou, vendent des terrains ou même leur maison. Un membre de l’ONG Save the Children a rapporté à l’auteur les propos d’une mère : « je n’oublierai jamais – disait-elle – le jour où mon fils a troqué tous ses manuels scolaires contre un ballon rond »… Et elle voyait ça comme une excellente chose !
Jacques Munier
Revue Mouvements Dossier Peut-on aimer le football ? (La Découverte)
« À la veille de la Coupe du monde de football au Brésil, ce numéro de Mouvements se demande comment l'on peut être de gauche et aimer le football, ce sport capitaliste, raciste, misogyne, homophobe et mafieux... Ce numéro se penche aussi sur les conséquences sociales de l'organisation de mega events ou la construction de nouveaux stades qui visent à changer le public, à contrôler ses pratiques et à aménager des villes. Le foot reste néanmoins un « jeu social » planétaire, animé par des amateurs souvent issus des classes populaires, des minorités racialisées, dans lequel les femmes tentent de se faire une place, et qui produit du plaisir ... »
Éditorial : Peut-on être de gauche et aimer le football ? I / Les territoires du foot marchand Les territoires réinventés du football mondialisé, par Ludovic Lestrelin Villes marchandes et villes rebelles. Préparation aux méga-événements et reconfiguration des formes d'exercice du pouvoir au Brésil,* par Juliette Rousseau* Le progrès dans l'ordre. À propos des stades de la Coupe du monde de football, par Jean-Charles Basson Quand le foot-business fait son grand projet inutile et imposé : le cas d'OL-Land, par Barnabé Binctin « Le côté noir des affaires » : délinquance financière, mondialisation et football. Entretien avec Noël Pons,* propos recueillis par Noé Le Blanc* II / Hors-jeu institutionnels : dominations et résistances La fabrique des footballeurs : la fabrique de « mauvais garçons » ?, par Julien Bertrand Pas vus, pas pris : la médicalisation de la performance dans le football. Entretien avec Jean-Pierre de Mondenard, propos recueillis par Noé le Blanc Le foot français, les noirs et les arabes, par Patrick Simon Le football féminin face aux institutions : maltraitance et conquêtes sociales, par Annie Fortems Visibilité et désamorçage des antagonismes sociaux dans des équipes féminines de football, par Camille Martin Est-ce la fin du mouvement ultra en France ?, par Bérangère Ginhoux Supporters ou révolutionnaires ? Les ultras du Caire. Entretien avec Céline Lebrun, propos recueillis par Amin Allal Première mi-temps : discriminations. Table ronde avec Cécile Chartrain, Nicolas Kssis-Martov, Marwan Mohammed, Veronica Noseda, propos recueillis par Catherine Achin, Armelle Andro et Renaud Epstein III / Le goût du football Être (bien) payé pour parler foot,* par Xavier de La Porte* Seconde mi-temps : subvertir et aimer le football. Table ronde avec Cécile Chartrain, Nicolas Kssis-Martov, Marwan Mohammed, Veronica Noseda, propos recueillis par Catherine Achin, Armelle Andro et Renaud Epstein « Mon plus beau match de football... », par La p'tite Blan, Nicolas Kssis-Martov, Philippe Marlière, Fabrice Montebello, Stéphane Le Lay, Michel Bozon, Armelle Andro, Noé Le Blanc, Graphijane, Aurélie, Mathieu Rault Thème Brésil, Turquie : leçons de juin,* par Thomas Coutrot.*
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