Le grand orchestre animal / Revue Jardins

France Culture
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ernie Krause : Le grand orchestre animal (Flammarion) / Revue Jardins N°5 Dossier Le retrait (Editions du Sandre)

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Ils roucoulent, bêlent, hululent, grondent, gazouillent, pépient, gloussent, bourdonnent, piaulent, sifflent, miaulent, croassent, coassent, glougloutent, jacassent, vrombissent, glapissent, caquettent et j’en passe… en doublant les écosystèmes de somptueux paysages sonores, tout ça pour essentiellement deux raisons : repousser les rivaux et attirer des partenaires sexuels. Pourtant lorsqu’on écoute le chant du merle au petit matin, qui donne à l’espace une réalité tangible et une limpide profondeur de champ, on ne peut s’empêcher de lui associer un plaisir purement esthétique, celui pour l’oiseau solitaire de lancer ses trilles sur la ville endormie et par ses ensorcelantes vocalises de parapher l’aube de sa signature sonore.

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Le monde marin que l’on dit à tort « du silence » résonne lui aussi de quantité de voix. Les cétacés émettent des signaux dont l’intensité serait équivalente dans l’air à un coup de feu. Le chant des baleines est si puissant que s’il n’est pas arrêté par un bloc continental il peut faire le tour du globe en moins de sept heures. Chaque espèce de poisson émet une onde de pression par l’oscillation de sa nageoire caudale, et un signal acoustique identifiable par tous, à commencer par les prédateurs. La crevette pistolet, longue de quatre centimètres seulement produit avec sa grande pince un son caractéristique qui résonne dans tout l’espace sous-marin avec la force d’un orchestre symphonique, soit plus de 150 dB.

La terre elle-même émet toute sorte de sons, qui entrent en harmonie avec le grand chœur des animaux. Le tonnerre qui gronde et roule au loin avec ses déflagrations en cascade, mais aussi la pluie et même la neige créent un environnement acoustique spécifique. Bernie Krause, naturaliste et inventeur de la notion de biophonie , parle ici de géophonie . Il a tenté d’enregistrer le bruit de la neige qui tombe et il est parvenu à capter ce « tapotement assourdi et doux » des flocons qui se déposent. Chacun d’entre nous a conservé le souvenir de la poudreuse qui crisse sous les pas dans la bulle ouatée d’un paysage enneigé. Et l’auteur évoque le concert des insectes de la forêt tropicale, qui se mettent à striduler sitôt l’orage éloigné.

Les compositeurs se sont à l’occasion inspirés de la partition naturelle. Mozart a écrit une musique en hommage à son étourneau domestique, on peut entendre dans la 6ème symphonie de Beethoven, la Pastorale , la voix d’un coucou et d’une caille Debussy a fait chanter la mer et les vagues, et Messiaen a donné voix aux balbuzards, gobe-mouches, fauvettes, grives et alouettes dans de nombreuses œuvres, dont le Réveil des oiseaux , ou Oiseaux exotiques . On peut également citer Charles Ives, Britten et plus près de nous le compositeur canadien Murray Schafer qui fait explicitement du paysage la matière de ses créations sonores, comme dans son Journal d’hiver .

Il est vraisemblable que les sons naturels soient à l’origine de la pratique de la musique, et même de la parole. Bernie Krause évoque une rencontre en Oregon, à proximité du lac Wallowa, avec un Indien Nez-Percé qui se proposait de « rééduquer » ses oreilles. Au bout d’une demi heure d’attente, le vent se leva, déboula dans la vallée et subitement des sons qui semblaient jaillir de grandes orgues géantes les submergèrent. Incapable d’identifier leur source, le naturaliste, guidé par l’Indien, finit par comprendre l’origine de l’étonnant et parfois dissonant vacarme : il s’agissait d’un massif de roseaux que les intempéries avaient brisés et dont les cimes ouvertes émettaient un son retentissant, comme de gigantesques flûtes de pan. « Vous savez maintenant d’où vient notre musique – commenta sobrement l’Indien – C’est de là aussi que vient la vôtre ».

Une histoire recueillie le long du fleuve Columbia illustre cette prégnance de la respiration sonore des espaces naturels dans la mentalité des peuples traditionnels. Il s’agit des Wy-am, dont la vie communautaire gravitait autour d’une cascade aux clairs échos, centre de leur cosmogonie et de leur activité vivrière, grâce à l’abondance des saumons et des truites. Dans les années 50, pour rendre le fleuve plus navigable, on ferma les vannes d’un barrage, ce qui inonda en amont la cascade et la zone de pêche. Dans le silence de mort qui se fit alors, les Indiens pleuraient davantage la voix sage de la chute d’eau que la disparition du saumon. Comme eux Bernie Krause s’inquiète : en 50 ans, 50% des sons de la nature ont disparu.

Jacques Munier

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Revue Jardins N°5 Dossier Le retrait (Editions du Sandre)

http://www.editionsdusandre.com/home.php?contexte=book_details&id=163

Le retrait, l’écart, ce sont d’autres mots pour dire le jardin. Mais s’il est un espace enclos et retiré, le jardin n’est pas entièrement replié sur lui-même, « ses clôtures sont poreuses », il a repoussé le monde au-delà de ses murs mais il l’y réintroduit symboliquement comme « image du monde », car à l’origine il était censé sauvegarder les végétaux et les animaux rares et précieux. Pour préserver des aventures humaines uniques, deux versions différentes du « retrait » : Le jardin contemplatif par Gordon Campbell et Le jardinier humaniste par Jean-Paul Ribes

Et aussi

Sylvain Hilaire, D’herbes, de sables et de racines

Alicia Paz, Dans l’atelier, un jardin

Theodor Cerić, Le jardin de Godot

Anselme Selosse, « Je suis dans l’esprit d’aventure »

Michael Jakob, Le retrait manqué d’Ermenonville

Valentine de Ganay, « Courances va nourrir Paris… »

Marco Gambino, Il y avait un jardin en Sicile

Ernest Boursier-Mougenot et Michel Racine, Monde à part

Julia Curiel, Les chimères végétales de Leo Lionni

L’Absolu manifeste, Ils ont ouvert la porte du jardin

Jacqueline de Jong, « Les jardins sont souvent trop jolis »

Cristina Castel-Branco, Le couvent des Capuchos et Kingscote

Frédérique Basset, Incroyables Comestibles

Bruno Montpied, Du poivre dans la mare

Claude Dourguin, Présences terrestres

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