Yvonne Verdier : Le petit chaperon rouge dans la tradition orale (Allia) / Revue Cahiers Robinson N°34 Dossier Présences animales dans les mondes de l’enfance
On le sait, les contes voyagent dans le temps et à travers l’espace, et au cours de ces déplacements ils se lestent de motifs propres aux cultures traversées, ce qui en fait, pour qui sait les lire aujourd’hui, de chatoyants recueils de traditions populaires le plus souvent oubliées. Cette lecture ethnographique, Yvonne Verdier la pratique ici à propos de différentes versions du Petit Chaperon rouge . Disparue accidentellement en 1989, l’ethnologue de la France rurale connaissait bien les cultures de nos campagnes, comme le montre la belle enquête consacrée à Minot, un village de Bourgogne, où elle a notamment recueilli les témoignages des femmes : la couturière, la laveuse et la cuisinière, un ouvrage publié sous le titre Façons de dire, façons de faire . Comme on va le voir, c’est précisément à ces trois fonctions que renvoient certaines versions du Petit Chaperon rouge , dans une sorte de récit d’initiation qui détaille les différents âges de la vie d’une femme dont on nous dit qu’elle a vu le loup, une ancienne expression populaire qui signifiait qu’on lui avait « conté fleurette »…
Autant dire que tous ces aspects sont absents de la version de Charles Perrault, qui en fait un conte édifiant dont la morale peut être ainsi résumée : « petite fille ne t’écarte pas du chemin, sinon tu rencontreras le loup et il te mangera ». Du coup, un certains nombre de détails perdent leur sens, quand ils ne sont pas purement et simplement supprimés par l’auteur des Contes de ma mère l’Oye . Jugé « puéril » et laissé de côté, un élément au début donne le départ de l’interprétation conduite par Yvonne Verdier à la façon d’un intriguant jeu de piste. C’est l’épisode du choix du chemin. Lorsque la petite fille et le loup se rencontrent, celui-ci lui demande quel chemin elle veut prendre, « celui des épingles ou celui des aiguilles ». Perrault règle la question que ne manquent pas de susciter ces deux motifs dans l’esprit du lecteur moderne en donnant au loup l’initiative : « je m’en vais par ici et toi par là ». Mais Yvonne Verdier comprend le langage des épingles et des aiguilles. Dans le contexte de la société paysanne, il renvoie à la coutume qui consistait à placer les jeunes filles un hiver, l’année de leur quinze ans, chez la couturière, non seulement pour apprendre à coudre, c’est à dire à manier les aiguilles, mais surtout pour se « dégrossir », savoir « s’attifer » et se rendre désirable, ce qu’on désignait par l’expression : « ramasser les épingles », celles que les garçons offraient aux filles pour leur faire la cour, et celles aussi qui fixaient à leurs cheveux la coiffe qu’elles se devaient de porter dès cet âge.
Et le chaperon rouge, me direz-vous ? Le psychanalyste Erich Fromm y voyait un symbole de la menstruation de la fillette et c’est bien de ça qu’il s’agit, mais passé au filtre des traditions liées au joli mois de mai. Là encore, il est question de classes d’âge et d’entrée dans la puberté. C’est le sens de ce rituel de printemps qui consacre la « reine de mai » avec sa coiffe rouge ou sa couronne de roses, au sortir de l’enfance. En somme, ce que décrit aussi le conte, c’est le parcours initiatique d’une jeune fille venue annoncer à sa mère qu’elle est en passe de la supplanter et d’en faire une grand-mère et c’est pourquoi elle va symboliquement la manger, à la suite du loup. Lequel, dans tout ça, est un personnage finalement secondaire. C’est bien elle qui cuisine les restes en fricassée, même si dans certaines versions, comme celle de Perrault, elle finit dans la gueule du loup. Passons sur l’épisode où elle se couche à ses côtés, sa signification sexuelle étant parfaitement claire. Car un détail me tracasse, comme tous les enfants : où sont passés la galette et le petit pot de beurre, complètement écartés du repas cannibale ? Ce petit pot de beurre où Georges Dumézil, dans Le Festin d’immortalité , voyait un équivalent symbolique de l’ambroisie, le référant à celui que le dieu gaulois Sucellus avait tiré du barattement de la mer. Là aussi c’est au printemps qu’il nous ramène et à la tradition du « beurre de mai » qui, s’il ne rendait pas immortel, passait pour avoir des vertus magiques, comme tout les laitages durant cette période.
Jacques Munier
Revue Cahiers Robinson N°34 Dossier Présences animales dans les mondes de l’enfance
http://lescahiersrobinson.univ-artois.fr/Les-Numeros/Presences-animales-dans-les-mondes-de-l-enfance
Dossier coordonné par Florence Gaioti
Les enfants n’ont pas attendu les éthologues, les écologistes ou les philosophes pour s’intéresser au monde animal et à considérer les vivants non-humains comme des semblables. De tout temps leur propre monde est peuplé de toute une ménagerie. C’est vrai, bien entendu dans l’univers des contes (Bochra Charnay et Valentine Depauw). Et les enfants se construisent aussi à travers leur relation à l’animal, ce qui les rend sensibles à leur propre part d’animalité
Au sommaire :
Florence GAIOTTI
Présences animales dans les mondes de l’enfance
Bochra CHARNAY
Les animaux reconnaissants Dans le conte oral traditionnel
Valentine DEPAUW
La figure de la bête dans les contes des XVIIe et XVIIIe siècles
Guillemette TISON
Le bestiaire des écoliers de IIIe République
Michel MANSON
Quand les animaux écrivent pour les enfants
Eléonore HAMAIDE
A bord de quelques arches de Noé
Laurence MESSONIER
La grande Guerre de l’exploitation de l’animal
Eric BARATAY
Vivre la Grande Guerre avec le chien Flambeau
Julie SAINT-HILLIER
L’enfant et la bête chez Kessel
Serge MARTIN
La voix animale, une reprise d’oralité
Sandrine LE PORS
Le théâtre jeune public à l’épreuve de l’animal
Marie GARRE-NICORA
L’animal dans la marionnette contemporaine
Isabelle CASTA
L’animalité métamorphique en dark fantasy
Isabelle OLIVIERA
nimaux philosophiques chez Philip Pullman
Christine PREVOST
Le discours éthologique à hauteur d’enfant
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