Annie Mollard-Desfours : Le Vert. Dictionnaire de la couleur (CNRS Editions) / Revue Le Rouge et le Blanc N°104


« Vert : couleur de terre ouverte aux sèves », écrivait Michel Leiris dans son Glossaire, résumant poétiquement dans une glose serrée la symbolique végétale et donc terrienne de cette couleur. Si elle est associée au paradis chez les musulmans, peuple de bédouins à l’origine et d’habitants du désert, les cieux et leur royaume sont plutôt décrits en bleu, les « seins et les glaciers » de la pureté comme de la paix, en blanc, mais à la terre et aux rêveries du repos le vert convient sans mélange, comme le relevait Kandinsky : « Le vert absolu est la couleur la plus reposante qui soit elle ne se meut dans aucune direction et n’a aucune consonance de joie, de tristesse ou de passion, elle ne réclame rien, n’attire vers rien. » Et de la comparer « aux sons calmes, amples et de gravité moyenne du violon ».
Linguiste et lexicographe, Annie Mollard-Desfours complète avec ce volume son dictionnaire des mots et expressions autour de la couleur, après Le Bleu, Le Rouge, Le Rose, Le Blanc et Le Noir. A l’image de sa composition chromatique, un mélange de bleu et de jaune, le vert est une couleur ambiguë. Comme le rappelle Michel Pastoureau, l’association du jaune et du vert en rayures notamment, « le contraste le plus dur qu’on puisse mettre en scène », servait au Moyen Age pour habiller les fous et signaler en le stigmatisant « tout comportement dangereux, transgressif ou diabolique ». Verte était la couleur des bouffons et du bonnet dont on coiffait les faiseurs de banqueroute cloués au pilori. Verte aussi la couleur des écailles du démon et des monstres du quatrième des quatre chevaux des Cavaliers de l’Apocalypse, monture de la Mort ou de la Peste verte la couleur des cadavres dans leur route inverse, de retour à la terre par « le démontage actif de la chimie ».
Cette ambivalence est d’ailleurs présente dans la chimie de la couleur et dans l’instabilité des nuances obtenues en teinturerie, le vert jaunissant et vite délavé, ainsi que dans les produits hautement toxiques employés pour l’obtenir, l’arsenic, le cyanure ou l’oxyde de cuivre, qui expliquent son interdiction au théâtre, certains comédiens en costume vert ayant été empoisonnés dans l’espace confiné de la scène. Je ne parle pas de l’habit vert qui déambule sous la Coupole et sur lequel figurent seules des palmes vertes brodées. Celui-là au contraire protège de la mort, comme on sait. Il nous faut alors convoquer ici une autre alchimie : celle de la Fée verte, ou dame verte, muse verte, voire monstre vert, si sans modération. Celle-là est aussi intimement liée à la littérature du XIXème siècle que les maisons closes ou la petite vérole. Et que dire du raisin vert de la Bible, auquel les pères ont goûté et qui a agacé les dents de leurs fils ? La sentence signifiait que les enfants paieraient pour les crimes de leurs pères, en voici une version moderne due à Jean-Pierre Chabrol : « les parents se poivrent à la gnôle de raisins verts, les dents des enfants grincent sur les trottoirs, avant de rouler dans les ruisseaux. »
Comme souvent l’étymologie guide le lexicographe et ouvre à l’amoureux des mots des horizons infinis. En grec le mot vert se disait « khloros » et signifiait à la fois « jaune verdâtre » et « vert jaunâtre », un indice de la sûre intuition sémantique de ces idolâtres du bleu du ciel. Le mot était associé à la nymphe Chloris, appelée Flore par les Romains, déesse de la jeunesse, de la floraison et symbole de fécondité. De cette racine vient le mot « chlorophylle », la molécule inventée par le règne végétal, qui produit l’oxygène comme un déchet de la photosynthèse à partir du gaz carbonique et qui nous permet, à nous les animaux terrestres, d’exister. En latin, même flottement sémantique entre le vert et le jaune. Galbus, galbinus qui signifie vert pâle finira par désigner le jaune en suivant le trajet qui va de gaus à jalne en passant par jalnus. L’autre nom du vert, « viridis », qui signifiait aussi frais, jeune ou vigoureux comme le blé en herbe est l’ancêtre direct de notre vert et il conserve des adhérences sémantiques avec les dérivés de la racine vir : virilité, virulence, puisque viridis pourrait avoir été formé avec « rudis », du grec « ruo » qui signifie « pousser en dehors, croître en taille et en volume », on ne compte plus les substantifs dérivés qui ramènent à cette métaphore végétale et ligneuse, jusqu’à Viridianus, le dieu qui présidait à la verdure.
Mais pour revenir à khloros et à la littérature. Le ton jaune verdâtre ou vert pâle a connu une singulière fortune littéraire en matière de critique au XIXème siècle. Le romantisme alanguissant les ardeurs des porte-plumes, un symptôme est apparu, une forme dégénérée de mélancolie du génie créateur : la chlorose du style. Flaubert la dénonce, Sainte-Beuve la constate, Baudelaire la raille vertement dans les Fleurs du mal :
« Je laisse à Gavarni, poète des chloroses
Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal. »
Jacques Munier
Revue Le Rouge et le Blanc N°104
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