Les blessés psychiques de la Grande Guerre / Revue La Faute à Rousseau

France Culture
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Louis Crocq : Les blessés psychiques de la Grande Guerre (Odile Jacob) / La Faute à Rousseau , Revue de l’autobiographie N°67 Dossier La Grande Guerre

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C’est un angle inédit sur les conséquences humaines du conflit, au milieu de l’impressionnante production éditoriale qui a accompagné le centenaire. Si l’on a tout dit sur les avant-coureurs, les prémisses et le déclenchement, le déroulement de la Grande Guerre, le témoignage des écrivains et des artistes, des poilus de base également, des grands blessés, les « Gueules cassées » auxquelles on a rendu hommage dès le lendemain de la terrible saignée, et même l’hécatombe des animaux, c’est le premier livre qui aborde la question des traumatismes, parfois très lourds, qui ont atteint, le plus souvent durablement, les soldats engagés. Psychiatre des armées, spécialiste des traumatismes psychiques de guerre et initiateur des cellules d’urgence médico-psychologiques au lendemain de l’attentat de la station du RER Saint-Michel en 1995, Louis Crocq a étudié la documentation émanant des médecins du front concernant ces « blessés psychiques » sur lesquels pesait constamment le soupçon de « simulation » qui en a conduit plus d’un devant le peloton d’exécution.

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Très tôt pourtant les grands pontes de la psychiatrie française ont conseillé aux médecins de ne pas tenir compte de ces soupçons et ont recommandé aux tribunaux militaires de demander des expertises médico-légales dans les cas douteux. En fait, tout au long du conflit la connaissance de la pathologie psychique de la guerre moderne s’est constituée et affinée. Mais ce n’est qu’à partir de 1917 que sa spécificité est reconnue et repérée comme « névrose de guerre ». Louis Crocq fait la synthèse des nombreux ouvrages et communications publiés par les psychiatres du front et des hôpitaux, il recense une douzaine de catégories diagnostiques et il fait le lien avec les travaux antérieurs, notamment ceux du père de la psychiatrie, Philippe Pinel, qui a fait ses observations sur les traumatisés de la Révolution et des guerres de l’Empire. En particulier ce que les chirurgiens des armées napoléoniennes ont désigné comme le « vent du boulet », un syndrome frappant les soldats ayant senti passer le projectile de près sans avoir été blessés, mais qui subissent en contrecoup une onde choc provoquant une stupeur aigue, mutisme et prostration.

La nosologie des affections psychiques a rapidement évolué au cours de la guerre de 14-18. Dans les premiers mois, avant qu’elle ne devienne une guerre de positions, et alors qu’on envoyait les troupes à l’abattoir pour des affrontements très meurtriers, les survivants hébétés qui poursuivaient dans un rêve éveillé le cauchemar de leur combat – je cite « yeux ouverts, faciès hagard, paraissant absents de leur environnement et indifférents aux incitations, sans initiative ni mouvement spontané » ont donné lieu à la catégorie clinique d’« hypnose des batailles ». Dans la deuxième phase de la guerre, alors que les combattants terrés dans les tranchées subissaient le pilonnage intensif d’artillerie de gros calibre, se retrouvaient projetés dans les airs comme des pantins par le souffle de l’explosion, on a vu apparaître des symptômes plus graves de confusion mentale ou de sidération, avec pertes de connaissance et des amnésies partielles ou totales qui ont fait de leurs victimes des « soldats inconnus vivants ». Ces amnésies ont d’ailleurs inspiré, si ce n’est la compassion nationale, des évocations littéraires comme Siegfried de Jean Giraudoux ou Le Voyageur sans bagage de Jean Anouilh.

Anxiété, neurasthénie, et l’hystérie qui amenait les malades à endosser les symptômes de leurs voisins à l’hôpital en produisant à leur tour un effet néfaste de contagion mentale, les pathologies se sont multipliées, qui ont fait naître dans l’urgence l’idée d’une psychiatrie de l’avant. Les médecins se sont vite aperçu que traiter les malades précocement et près du front, dans une ambiance comparable à celle des unités combattantes, désamorçait la phase initiale de « méditation solitaire » qui, au cours des longues attentes pour être évacué, orientait l’esprit vers la névrose. Les traitements ont également bénéficié de ce laboratoire de masse et à ciel ouvert. Psychothérapie et psychanalyse se sont progressivement imposées face à l’usage des sédatifs ou des barbituriques. Mais on doit à cette guerre l’invention de l’électrochoc, pudiquement baptisé « faradisation » et entaché pour la suite de son vice d’origine. Il est d’abord appliqué aux hystériques dans un esprit de punition face à la « superbe indifférence » du patient à l’égard de son symptôme et à son obstination à le reconduire.

Jacques Munier

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La Faute à Rousseau , Revue de l’autobiographie N°67 Dossier La Grande Guerre

http://autobiographie.sitapa.org/publications/faute-a-rousseau/index.php

La revue de l’APA, Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique, une association qui recueille et conserve les documents ayant trait aux biographies de tout un chacun, récits, journaux ou lettres. Il était logique qu’elle s’intéresse à la Grande Guerre. Cette livraison de la revue met aussi l’accent sur des archives qui offrent une vision oblique de la guerre. Il y a les carnets de Madeleine Pachoud, une jeune infirmière de 21 ans tout juste sortie de son école de Genève et qui décide de s’engager avec quelques camarades pour soigner les blessés au début du conflit, et l’on peut aussi adopter les point de vue des enfants, centré sur des aspects plus familiaux comme les permissions paternelles, une vision plus nuancée de la réalité de la guerre.

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