Les démons des forêts et des montagnes / Revue Une larme du diable

France Culture
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**Jean-Claude Diedler ** : Les démons des forêts et des montagnes (L’Harmattan) / Revue Une larme du diable N°5

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Les procès de sorcellerie constituent pour l’historien des mentalités des sources exceptionnelles de connaissance des sociétés du passé, notamment rurales, jusque dans le détail et à l’échelle de la cellule familiale. Carlo Ginzburg, en particulier, a merveilleusement illustré la fécondité de cette micro-histoire. Sous le regard de Jean-Claude Diedler, c’est la vie dense et agitée des sombres vallées vosgiennes et des faings conquis sur la forêt qui s’anime, les relations compliquées par des statuts souvent inégalitaires, empoisonnées par la promiscuité où vivent certaines familles sur des terres qui ne suffisent plus à nourrir tout leur monde. Les fortunes se font et se défont en un tour de main, voire de magie, et le soupçon de mauvais sort n’est jamais loin chez des gens pour qui les pratiques de sorcellerie font partie du quotidien, dans un arrière-monde que la topographie de la montagne ramène sans cesse à l’esprit et qui semble inscrit dans les paysages. À Brouaumont, ce faing isolé sur les pentes abruptes de la vallée de la Mortagne, c’est toute une famille qui finira sur le bûcher et, fait exceptionnel, ce sera sur dénonciation de la petite dernière, Mengette, neuf ans, au départ sur la foi de ses bavardages.

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À cette époque, au tout début du XVIIe siècle, les habitants des vallées dépendent des abbayes et sont des serfs. Ceux qui, attirés par les conditions fiscales favorables, s’installent sur des terres défrichées en forêt – les faings – ont un statut plus enviable, ils sont propriétaires. Les Pivert, grands-parents et parents de la petite Mengette sont de ceux-là. Ceux qui les accusent habitent la vallée. Ils se fient aux dires de Mengette, qui a parlé à leurs filles, avec lesquelles elle garde les bêtes. Confirmés par la rumeur, ces dires les tiennent pour responsables du maléfice qui tarit le lait de leurs vaches. Il s’agit de poser des fils préalablement traités par magie sur les chemins où passent les bovins. On les accuse aussi de faire de la grêle et surtout de se rendre au sabbat au lieu-dit de La Pierre de la Roche, un énorme caillou qui surplombe la vallée et dont la seule vision fait naître des pensées de menées infernales. « Le Diable – je cite – a toujours fait siens les paysages des marches de l’Est, aux forêts profondes, aux terroirs exigus où les habitants luttent contre une nature ingrate. »

Jean-Claude Diedler, qui les étudie depuis des années dans les Archives départementales et avait consacré un beau livre à la dénommée Claudette Clauchepied – La sorcière de la Vologne – détaille le mécanisme implacable des procès, qui ont été particulièrement nombreux sur ces terres de Lorraine. On peut en lire les minutes dans son livre, transposées et annotées par ses soins. Par le jeu et la contagion de la délation, ces procédures se sont littéralement emballées à ces époques de « chasse aux sorcières ». Pour interrompre les souffrances de la question, les prévenus pouvaient livrer des noms. C’est ainsi que toute la famille de Mengette – ses grands-parents, parents, oncles et tantes – sera brûlée vive, et le petit joueur de fifre des danses sabbatiques, Georgel, onze ans, condamné du fait de son jeune âge à être fouetté en tournant autour du bûcher où ses parents se consument.

Le plus étonnant dans toute cette histoire, c’est l’étrange mélange de résistance et de consentement qui caractérise l’attitude des accusés. C’est sans doute la foi incoercible dans la réalité concrète des mondes infernaux qui leur fait redouter le châtiment éternel. L’un des arguments répétés du procureur était d’enjoindre le prévenu de dire la vérité sous peine d’être « tourmenté non seulement par la géhenne mais aussi par la justice de Dieu », et de faire en somme « son salut en ce monde ». Le témoignage d’un malheureux glané dans les archives révèle cette question lancinante : « savoir si les sorciers qui n’étaient pas exécutés par la justice étaient damnés ».

Jacques Munier

Revue Une larme du diable N°5

http://www.longueur-ondes.fr/rubrique17.html

Revue des mondes radiophoniques et des univers sonores, adossée au Festival Longueur d’ondes, à Brest

Une livraison très musicale, notamment l’entretien avec Bruno Monsaingeon, le documentariste des grands interprètes

La voix sur le divan d’Arnaud Bellec, une psychanalyse de Caruso

Un document d’archives : le microphone, le radiophone et le phonographe… Les inventions auxquelles vous avez échappé : la machine parlante américaine, le téléphote, le télétroscope… Extrait d’un volume de La Bibliothèque des merveilles dû à Th. Du Moncel

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