Sylvie Aprile, Jean-Claude Caron, Emmanuel Fureix (dir.) : La liberté guidant les peuples. Les révolutions de 1830 en Europe (Champ Vallon) / Revue Annales avril-juin 2013 Dossier Le quotidien du communisme (Editions EHESS / Armand Colin)


C’est un beau travail d’histoire connectée, ou « transnationale ». Il faut dire que le sujet s’y prête. En quelques mois, entre l’été 1830 et l’automne 1831, des mouvements révolutionnaires éclatent successivement en France, en Belgique, en Pologne, et dans certains Etats italiens et allemands, en modifiant là et ailleurs en Europe l’horizon d’attente collectif dans le sens de réformes libérales, d’émancipations nationales ou de droits sociaux. Restée dans l’ombre du « printemps des peuples » de 1848, cette vague de soulèvements lui a pourtant, à bien des égards, préparé le terrain. Et même si les objectifs, les situations et les résultats ne sont pas identiques partout, un même esprit, des configurations comparables dessinent les contours de ce que les auteurs appellent « un espace public transnational », en l’occurrence européen, matérialisé par des circulations d’hommes et de formes d’action, de symboles, d’informations et d’idées relayées notamment par la presse. Les contemporains des événements avaient d’ailleurs une pleine conscience de cette solidarité des mouvements et ils étaient loin de se contenter de l’expliquer par un simple phénomène de contagion. Avec sa langue épique, Victor Hugo décrit ainsi dans les Feuilles d’automne le caractère européen de l’insurrection : « Au-dehors, ça et là, sur la face de l’Europe, des peuples tout entiers qu’on assassine, qu’on déporte en masse ou qu’on met aux fers, partout d’ailleurs, dans les Etats même les plus paisibles, quelque chose de vermoulu qui se disloque, et, pour les oreilles attentives, le bruit sourd que font les révolutions, encore enfouies dans la sape, en poussant sous tous les royaumes de l’Europe leurs galeries souterraines, ramifications de la grande révolution centrale dont le cratère est Paris. »
L’ample vision hugolienne apparaît cependant quelque peu franco-centrée, même s’il est vrai que la chronologie plaide en sa faveur et que l’effet d’onde de choc des Trois Glorieuses est incontestable. Ce que montrent les différentes contributions signées par des historiens non seulement français mais aussi belges, italiens, polonais, allemands et même suisse, c’est que la propagation révolutionnaire a moins joué comme diffusion d’un modèle que comme saisie d’une opportunité diversement déclinée selon les pays et les groupes sociaux. C’est précisément le cas de la Suisse, où le mouvement désigné comme la Régénération, une sorte de renaissance politique, trouve son origine dans les revendications des libertés démocratiques posées dans la foulée des événements révolutionnaires. En Italie, c’est la nouvelle de l’insurrection à Bruxelles, et non à Paris, qui déclenche un soulèvement à Cesena, en Emilie-Romagne. Le mouvement s’articule également du global au local ou du centre vers la périphérie et en France, par exemple, de nombreuses villes de provinces ont été le théâtre de révolutions municipales alors que dans les départements proches de la capitale des révoltes locales ont parfois anticipé l’annonce officielle du dénouement des Trois Glorieuses. Les élites libérales – journalistes, avocats, médecins, négociants – s’organisent, le plus souvent autour du journal local d’opposition, pour préparer le transfert du pouvoir. Et parfois, dans un même pays, les revendications peuvent ne pas se recouper exactement, comme en Belgique, alors partie intégrante du Royaume-Uni des Pays-Bas, où un clivage religieux, politique et linguistique entre le Nord et le Sud a pour conséquence que la revendication d’émancipation nationale n’est pas unanimement partagée. Il en est de même pour les groupes sociaux engagés dans l’insurrection ou pour le mode d’action choisi. En Pologne, soumise au joug russe, le déclenchement de l’insurrection relève d’abord du complot militaire et l’impact des Trois Glorieuses est surtout symbolique. Si la révolution a pu jouer un rôle dans l’engagement de la population de Varsovie, tous milieux confondus dans l’élan patriotique, son extension dans le temps a fini par la transformer en guerre ouverte contre l’impérialisme russe.
Il reste que ces différences de situations, d’enjeux ou d’objectifs, finement décrites et analysées par les auteurs, n’empêchent pas l’émergence de puissants traits communs, qui donneront leur physionomie aux révolutions ultérieures et des sueurs froides aux détenteurs du pouvoir, notamment impérial, devant la menace d’une internationalisation des luttes sociales ou nationales. Ces pratiques et rituels, comme la campagne de pétitions, la manifestation, voire la barricade se développent sur le terrain d’un espace public qui se constitue alors sur la base d’une sociabilité intellectuelle et politique dont les points d’appui sont les associations ou les cafés. C’est là que se produisent les échanges avec les exilés politiques venus chercher un soutien politique et une assistance financière, et qui vont former l’internationale libérale préfigurant les organisations révolutionnaires à venir. Les mots d’ordre, comme « La Liberté ou la mort », les symboles, comme les trois couleurs ou les arbres de la liberté, les gestes révolutionnaires, notamment d’iconoclasme antimonarchique, tous hérités de la Révolution française vont circuler comme les signes d’une langue commune, de même que de nouveaux emblèmes inventés au lendemain de 1830. C’est le cas du drapeau rouge, apparu lors de l’enterrement parisien du général Lamarque en juin 1832. Mais surtout, des dispositifs d’appropriation du territoire urbain appelés à connaître une grande fortune et pratiquement absents du Paris révolutionnaire comme les barricades vont se répandre à cette époque. Au cours des Trois Glorieuses on peut en dénombrer 4000 dressées sur une partie seulement de la capitale et on les retrouvera à Bruxelles, Liège et Gand comme à Varsovie.
Jacques Munier
Revue Annales avril-juin 2013 Dossier Le quotidien du communisme
Jusqu’à présent les historiens s’étaient peu intéressés à la vie quotidienne, l’historiographie s’occupant davantage d’histoire politique ou sociale. Seuls les ethnologues avaient exploré cet aspect dans les pays communistes d’Europe centrale
Larissa Zakharova : « la consommation et plus généralement le monde matériel ont constitué un véritable défi pour les régimes communistes »
Au sommaire :
Larissa Zakharova, « Accéder aux outils de communication en Union soviétique sous Staline : hiérarchies spatiales versus hiérarchies sociales
Małgorzata Mazurek, « Moralities of Consumption in Postwar Poland »
Elena Zubkova, « Les pauvres gens. Le phénomène de la pauvreté dans l'Union soviétique d'après-guerre »
Igor Narski, « Le monde des objets dans la mémoire familiale du XXe siècle soviétique »
Nadège Ragaru et Antonela Capelle-Pogăcean, « La culture habitée aux frontières du socialisme : v(ill)e et lieux du spectacle à Gorna Džumaja (Bulgarie) en 1944-1948 »
Nathalie Moine, « La perte, le don, le butin. Civilisation stalinienne, aide étrangère et biens trophées dans l'Union soviétique des années 1940 »
L'équipe
- Production
- Collaboration