Migrants et réfugiés dans les villes du Proche-Orient / Revue Cultures et sociétés

France Culture
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Kamel Doraï et Nicolas Puig (ss. dir.) : L’urbanité des marges. Migrants et réfugiés dans les villes du Proche-Orient (Téraèdre) / Revue Cultures et sociétés N°24 Dossier coordonné par David Le Breton Que reste-t-il du corps ? (Téraèdre)

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Kamel Doraï et Nicolas Puig (ss. dir.) : L’urbanité des marges. Migrants et réfugiés dans les villes du Proche-Orient (Téraèdre)

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C’est un aspect peu exploré des grandes villes du Proche-Orient et que nous ne connaissons généralement que par les camps de réfugiés palestiniens. On sait qu’aujourd’hui de nombreux Syriens font partie du lot mais d’autres convulsions de l’histoire ont déposé sur les routes de l’exil des cohortes de réfugiés, irakiens lors de la guerre du Golfe, ou kurdes à plusieurs reprises. Les auteurs se sont également intéressés à des migrants en provenance d’Afrique et d’Asie du sud – c’est-à-dire d’Egypte ou du Soudan, mais aussi d’Inde, des Philippines, du Sri Lanka ou d’Ethiopie. Agnès Deboulet étudie notamment le cas des femmes migrantes à Beyrouth, le plus souvent employées à domicile, fréquemment surexploitées et sans droits ni recours en cas de différend avec leurs patrons, voire de maltraitance, assignées en somme au statut de captive ou de fugitive. Ces populations d’étrangers – en arabe le mot gharib signifie comme en français à la fois étrange et étranger – viennent dessiner les contours de la marge, résidant à la périphérie, dans des quartiers ou des camps où ils organisent leur vie sociale. Symbolique est à cet égard l’image de Beyrouth livrée aux migrants venus de nulle part et à leurs autocars le dimanche, alors que ses habitants se replient sur la vie de famille, montent au grand air ou investissent les plages, comme l’a observé Julien Bret.

Mais sur la durée ainsi qu’en importance numérique, c’est bien la figure du réfugié palestinien qui s’impose. Nombreuses sont les contributions qui le reflètent, concernant en Jordanie ou en Syrie, en Palestine ou au Liban. Michel Agier interroge le rapport au temps qu’induit l’espace confiné du camp, conçu au départ comme une structure provisoire et qui s’est inscrit dans le paysage urbain. Il évoque le « présent sans fin » de ceux qui continuent d’attendre le retour et la sorte « d’interminable insomnie » que constitue l’exil selon les termes de Victor Hugo. Dans les camps de réfugiés, « le temps – je cite – semble configuré par l’attente du retour », retour en arrière vers le lieu perdu, et objectif de retour, en projection dans l’avenir, ce qui fait de la substance du présent un mélange d’attente et d’absence. Elias Sambar a décrit mieux que quiconque cette figure de « l’Absent réfugié » : l’inquiétude le caractérise – je cite – « inquiétude de voir l’absence s’accomplir et le départ se confirmer. Inquiétude de ne plus jamais revoir la terre engloutie. Inquiétude de retrouver la patrie méconnaissable et de manquer les retrouvailles. »

Ce rapport paradoxal au temps qui passe se trouve conforté par le caractère successif des vagues de déplacements depuis la « Nakba », le « désastre » ou la « catastrophe », qui fit de 800 000 Palestiniens des exilés dans les parages de leurs territoires. Comme le montre Khadija Fadhel, ces arrivées qui se sont échelonnées sur une longue période ont également eu leur influence sur la notion du temps et ont contribué à conforter les réfugiés dans le sentiment de la durée de leur rétention. Elle étudie le camp de Jaramana, situé dans la périphérie de Damas, au milieu d’une zone péri-urbaine occupée par l’industrie et surtout par les cultures maraîchères et fruitières de l’oasis de la Ghouta. En Syrie, les réfugiés palestiniens ne font évidemment pas l’objet de stigmatisations mais ce camp surpeuplé suinte la misère et il est impossible à deux personnes de se tenir côte à côte dans ses ruelles tant elles sont étroites. Pas question dans ces conditions d’aligner les chaises le long des murs extérieurs de la maison pour accueillir le visiteur.

Lorsque les Palestiniens ont fini par comprendre que leur condition était scellée pour un moment et que le potentiel révolutionnaire des camps se confirmait dans les jeunes générations, les camps ont changé de nature pour devenir les bases de repli de la résistance palestinienne, à travers l’intifada. Dès lors, des projets d’aménagement et d’amélioration de la vie quotidienne ont vu le jour, en Jordanie notamment, où la menace de leur démantèlement se précisait, en particulier durant la période active du processus de paix. Ce pays, la Jordanie, se distingue par sa politique de gestion de l’habitat informel en mettant l’accent sur la participation des populations réfugiées aux programmes de sécurisation de leurs biens fonciers. Mais l’état d’Israël a également initié des politiques de relogement, évidemment condamnées par l’OLP, qui n’a pu empêcher leur succès dans la bande de Gaza. Du coup, les autorités palestiniennes elles-mêmes ont appuyé des projets inspirés par l’approche « développementaliste » et soutenus par l’aide internationale, dont a bénéficié par exemple le camp de Jenine, dont le centre a été détruit et remplacé dès 2002 par un quartier modèle à l’issue d’une consultation de l’ensemble des habitants, comme le rappelle Jalal Al Husseini, un chercheur jordanien. La gestion participative des dénommés « quartiers informels » en Jordanie, de la réhabilitation à la fourniture de services est étudiée quant à elle par la géographe Myriam Ababsa, qui rappelle que ce pays est l’un des premiers à s’être engagé dans une politique de réhabilitation de l’habitat précaire des réfugiés.

L’ouvrage aborde aussi le domaine de l’intime et notamment les liaisons entre réfugiés et autochtones. Au Liban, ce sont les communautés et donc les religions qui ont autorité pour tout ce qui concerne le statut personnel. Daniel Meier cite le cas de Jamal, une jeune femme druze qui, pour épouser un Palestinien, a dû officiellement quitter sa communauté et pour cela – dit-elle – faire rayer son nom sur le registre de son village d’origine.

Jacques Munier

Revue Cultures et sociétés N°24 Dossier coordonné par David Le Breton Que reste-t-il du corps ? (Téraèdre)

Un dossier coordonné par David Le Breton, qui est un spécialiste de la question. La question renvoie, non pas tant au fait qu’on l’a observé sous toutes les coutures et qu’on en a plusieurs fois fait le tour, mais aux rêves de cyborg des technoprophètes qui ne sont pas loin de considérer le corps comme dépassé

Avec au sommaire :

« On ne peut pas séparer si facilement le corps et l’esprit » Philippe Breton

« Le posthumanisme ou Comment en finir avec le corps ? », Jean-Michel Besnier

« Le miracle numérique de la transsubstantiation des corps dans le cyberespace », Pierre Musso

« Sur l’art posthumain », Maxime Coulombe

« La rémission du corps », Brigitte Munier

« Le corps invisible des femmes dans la bioéconomie », Céline Lafontaine

« Fantasmes de l'Homme Prothétique et réalités de l'homme appareillé », Valentine Gourinat

« Le corps en reste », David Le Breton

« Un corps libéré ou "normalisé" ? », par Jean-Claude Guillebaud qui cite Zarathoustra – « Corps je suis et rien d’autre » - ainsi que cet autre aphorisme de Nietzsche : « Ramenez à la terre la vertu égarée, ramenez-la au corps et à la vie, afin qu’elle donne à la terre son véritable sens, un sens humain »

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