Oralité et écriture / Revue Langage & Société

France Culture
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Walter J. Ong : Oralité et écriture (Les Belles Lettres) / Revue Langage & Société N°145 Dossier Enjeux sociaux des mouvements de revitalisation linguistique (Editions MSH)

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C’est un livre qui a connu un succès comparable à celui de La Galaxie Gutenberg de son jeune professeur et ami Marshall McLuhan, un livre traduit en une douzaine de langues et aujourd’hui dans la nôtre. Au début des années 80, alors qu’il écrit Oralité et écriture au terme d’une carrière notamment consacrée aux humanistes de la Renaissance et à leur rapport aux langues anciennes, Walter Ong voit sortir les premiers ordinateurs personnels et il pressent dans ce nouvel avatar de la culture écrite les développements qui conduiront par l’internet à la convergence des médias électroniques débouchant, via l’interactivité et le téléphone, sur ce qu’il appelait « l’oralité secondaire », distincte mais connectée à « l’oralité primaire » qui fut le régime de savoir et de communication de l’humanité pendant de si nombreux millénaires avant l’apparition de l’écriture, et dont les structures cognitives et sémantiques continuent d’inspirer notre rapport au sens, au texte et à sa communication. Dans l’un des chapitres d’Oralité et écriture , un développement intitulé Platon, écriture et ordinateurs rapproche la critique platonicienne de l’écriture des arguments des détracteurs de l’ordinateur, en particulier la thèse selon laquelle l’écriture détruirait la mémoire, une ressource essentielle de la tradition orale. « La lettre tue, l’esprit vivifie », la formule évangélique de l’Épître aux Corinthiens nous renvoie aux propos de Socrate dans le Phèdre , selon lesquels « l’écriture est inhumaine » car « elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit ». Mais de même que les calculettes n’ont pas supprimé la mémorisation des tables de multiplication, l’écriture n’a pas effacé notre sensibilité au pouvoir de l’oralité ni à la prégnance du son comme vecteur de communication, comme en témoigne le média que nous utilisons aujourd’hui encore : la radio.

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La communication est d’ailleurs la clé de toute cette affaire. Platon, dont l’un des paradoxes consistait à dénoncer l’écriture en écrivant ses objections pour les rendre plus efficaces, considérait qu’un texte écrit ne réagit pas comme le ferait une personne à laquelle vous demandez des éclaircissements sur ce qu’elle vient de dire. La structure mentale déterminée par la culture orale est inséparable de l’échange verbal, elle se consolide dans cet élément au point qu’on parle de « cultures verbo-motrices » pour désigner les cultures où l’interaction et l’usage performatif du langage font office de référence à ce que nous appelons « l’objectivité » ou la vérité. Les contes pour enfants donnent un bon exemple de la persistance de ces structures, où les attentes du jeune public aident à fixer dans la mémoire certains thèmes et formules. Pour illustrer cette « psychodynamique de l’oralité », Walter Ong évoque le souvenir d’un moment passé avec sa nièce à raconter les Trois petits cochons , où sa mémoire défaillante lui fit inverser certains termes que la fillette rétablit illico. C’est ainsi que – je cite « la construction d’une pensée élaborée dans une culture orale est liée à la communication ».

D’autres caractéristiques de la structure mentale propre à la tradition orale sont relevées par l’auteur : les schémas mnémotechniques qu’on peut retrouver dans l’épopée d’Homère, par exemple des motifs rythmiques et répétitifs, des contextes thématiques standard comme l’assemblée, le repas, le duel des proverbes que tout le monde connaît et qui vous viennent facilement à l’esprit. Dans les cultures orales, ces expressions figées n’ont rien d’aléatoire ou d’occasionnel, elles forment « la substance même de la pensée » et du caractère performatif de la parole. Walter Ong rappelle qu’en hébreu dabar signifie à la fois mot et événement. Comme les anthropologues l’ont montré, les peuples de culture orale accordent un grand pouvoir aux mots et le langage est pour eux un mode d’action, en particulier le fait de nommer les êtres et les choses. Ce qu’on a pu voir comme une évolution de la pensée magique vers l’esprit scientifique, ou de la pensée sauvage à la pensée rationnelle devrait plutôt être considéré comme un passage de l’oralité à l’intériorisation de l’écriture. Et de ce passé pas si lointain, il nous reste de nombreuses traces dans nos mentalités modernes.

Jacques Munier

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Revue Langage & Société N°145 Dossier Enjeux sociaux des mouvements de revitalisation linguistique (Editions MSH)

Dossier dirigé par James Costa

Paradoxalement, la mondialisation tend à la fois à réduire les différences et à reléguer les groupes minoritaires tout en en valorisant la diversité dans certains contextes. Plus consensuelles que les notions d’ethnie ou de race, les langues minoritaires sont l’objet de promotions militantes, médiatiques ou politiques et elles peuvent facilement s’apparenter à des espèces biologiques en voie de disparition.

Dans ce dossier, on étudie les cas de l’occitan, de l’irlandais, d’une langue indigène du Nicaragua et de la langue basque : retour sur le lien fort entre langues et territoires.

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