Poésie du gérondif / Revue Langage & Société

France Culture
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Jean-Pierre Minaudier ** : Poésie du gérondif (vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots) Le Tripode / Revue Langage & Société** N°147 Dossier Familles plurilingues dans le monde et N°148 Recherches linguistiques sur le genre (Editions MSH)

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« Une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie – je répète pour le dernier rang qui bavarde : une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie . Et ce à tous les niveaux : dans les introductions ethnographiques, dans les anecdotes qui parfois émaillent le texte dans le contenu des exemples mais surtout dans la structure même de la langue étudiée car chaque idiome a sa propre manière de passer du réel au discours, donc porte un regard différent sur le monde ». Les grammaires, Jean-Pierre Minaudier les collectionne, il en possède 1163 concernant plus de 800 langues. Autant dire que son livre est une invitation au voyage. Et puisque les vacances approchent, un bon conseil de l’auteur : « en tant que lecture de plage, une étude comparée de l’ergativité en avar et en tongien éclipsera le Heidegger que le voisin de rabane a cru malin d’apporter et vous vaudra, Mesdames, la fascination frémissante des maîtres-nageurs les plus velus de la Madrague et de Waikiki. » Je précise que le tongien n’est pas la langue débraillée de ceux qui portent des tongues mais une langue polynésienne, l’avar une langue caucasienne et l’ergativité la propriété de celles où le sujet des verbes intransitifs est marqué comme le complément d’objet direct des verbes transitifs, contrairement aux langues dites « accusatives »… Encore un effort et vous ferez du Mallarmé sans le savoir, tout en bronzant. La construction ergative en avar et en tongien , dû à Claude Tchekhoff et publié en coédition par Klinksieck et Publications de la Sorbonne est l’un des collectors de la bibliothèque de Jean-Pierre Minaudier.

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L’accent mis sur le gérondif – en lisant, en écrivant, comme dirait Julien Gracq – cette forme verbale qui remplace avantageusement les subordonnées temporelles en cascade et qui serait en déclin dans certaines langues est à vrai dire une coquetterie de l’auteur. Car ce qui l’intéresse, c’est aussi – je cite « tout ce qui volète, furète, halète autour de lui : adverbes de manière, concordance des temps, accord du participe passé ». À ce propos, de nombreuses langues ne conjuguent pas les verbes selon les temps, ayant recours à des adverbes comme « jadis » ou « demain ». D’autres, au contraire, comme le mian, une langue papoue, distinguent plusieurs passés : un passé dit « hodiernal » pour les événements qui se sont déroulés aujourd’hui, un passé proche, un passé lointain, un passé mythique, et le guarani, langue amazonienne, dispose quant à elle de plusieurs futurs, selon que l’événement à venir est plus ou moins certain. Le kayardild, une langue moribonde d’Australie, marque plutôt les noms que les verbes pour exprimer le temps, lequel s’applique donc aux êtres et aux choses, l’action étant considérée comme une catégorie intemporelle. On le voit, la grammaire reflète des positions philosophiques, des visions du monde différentes.

Émile Benveniste faisait remarquer à propos d’une polémique célèbre sur les catégories de l’être selon Aristote qu’elle correspondait exactement aux différents sens du mot « être » en grec et que dans une langue sans verbe être, comme le japonais, Aristote serait frappé de mutisme, et la philosophie avec lui. Le chinois ignore également ce verbe alors que l’espagnol en aligne deux : ser, pour exprimer l’état permanent, essentiel , et estar, ce qui peut changer, comme l’allure d’une femme dont on dit qu’elle est « en beauté ». Le genre est aussi l’objet de subtiles variations. Certaines langues ne le distinguent pas. D’autres organisent parfois un savant désordre : « pourquoi diable – demande l’auteur – un laideron est-il toujours une femme et une sentinelle presque toujours un homme ? » Et si en français c’est le masculin qui est le genre par défaut, et non le neutre, en kurde comme en bilua, une langue papoue des îles Salomon, c’est au genre féminin que revient ce « privilège ».

Un dernier conseil : en japonais et en tchouktche, une langue sibérienne, la parlure des femmes diffère sensiblement de celle des hommes. « Le viril étranger qui, sans méfiance, apprend la langue sur l’oreiller court le risque de passer pour une folle tordue ». À bon entendeur, salut.

Jacques Munier

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Jean-Paul Colin : Nouveau dictionnaire des difficultés du français (Klincksieck)

Revue Langage & Société N°147 Dossier Familles plurilingues dans le monde et N°148 Recherches linguistiques sur le genre (Editions MSH)

http://www.cairn.info/revue-langage-et-societe.htm

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N°147 Dossier Familles plurilingues dans le monde : la mixité conjugale et la transmission des langues, avec les cas indien, sud-coréen et celui de trois couples franco-éthiopiens à Addis-Abeba, et par Isabelle Lacroix, une enquête sur l’enseignement de la langue basque en France, où la baisse de la transmission intergénérationnelle est compensée par l’offre scolaire

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