Sexe et amour à Babylone / Revue Le Tigre

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Véronique Grandpierre : Sexe et amour de Sumer à Babylone (Folio) / Revue Le Tigre N°38

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Les Grecs, Hérodote en tête, ont répandu les pires ragots sur l’oriental lascif et décadent, efféminé et cruel, soumis au gouvernement des épouses les filles vendues à l’encan en mariage, l’obligation faite aux femmes de se rendre au moins une fois dans leur vie au temple pour s’offrir au premier venu… des mythes qui ont eu la vie dure puisqu’on les retrouvera des siècles plus tard sous la plume du marquis de Sade. Il s’agissait pour eux de mettre en valeur, par contraste, la retenue et la vertu masculine des hellènes.

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Véronique Grandpierre s’est employée à démonter ces stéréotypes : à commencer par la sexualité des dieux, beaucoup moins volages que ceux du Panthéon grec et qui restent entre eux pour faire la chose, à quelques exceptions près – notables cependant – c’est le cas de Gilgamesh, deux tiers divin et un tiers humain du fait de la divinité de sa mère. L’auteure décrit également la place de chacun des deux sexes au regard de la société, ainsi que le cadre légal des relations amoureuses, essentiellement conjugales et qui doivent favoriser la fécondité. Viennent ensuite les transgressions à ce cadre sociétal et juridique, les amours illicites et les infractions sexuelles : l’adultère, le viol voire la zoophilie. Et enfin le jardin des délices, les lieux pour le faire et les mots pour le dire. S’envoyer en l’air dans la machine à remonter le temps, c’est l’affaire du dernier chapitre qui nous dévoile tous les secrets de la séduction à Babylone, les parfums, les huiles et les pigments, ainsi que les sortilèges du plaisir partagé ou encore les préconisations en cas de panne.

Pour ce qui est des mots, les plus crûs sont d’usage. « Je veux te baiser ! » déclare sans ambages le dieu Enlil à la belle Ninlil qui se baignait dans la rivière et la jouvencelle lui rétorque que son organe est trop petit, ce qui se révèle au bout du compte un prétexte. En Assyrie, Ninlil est parfois identifiée à la grande déesse de l’amour, Ishtar, ou Astarté, dont les amants connaissent un destin funeste. Eternelle célibataire et amoureuse, elle n’est pas la déesse du mariage et son temple est parfois désigné comme « la taverne » ou « le bordel », ce qui revient au même. C’est pourquoi lorsqu’elle propose son lit à Gilgamesh, celui-ci refuse énergiquement en déclamant : « Tu n’es qu’un brasier qui s’éteint dans la glace, une porte ouverte qui ne retient ni vent ni brise, un palais royal qui crève les yeux du guerrier… » Curieusement, dans l’univers des dieux, c’est à Enki, le dieu de la sagesse, que sont associées les représentations phalliques trouvées en Mésopotamie.

Pour ce qui est des questions de genre, à part l’exception d’Ishtar, divinité et pouvoir royal sont dévolus aux hommes. Bien que la femme soit vénérée pour sa fonction de reproduction, nous sommes dans le contexte de la domination masculine et si les épouses des marchands assyriens assument les charges de l’entreprise familiale en l’absence de leur mari, tout indique un rang secondaire par rapport à l’homme. Véronique Grandpierre détaille le statut personnel en termes de mariage – dot et virginité en bandoulière – la législation du divorce, pas forcément défavorable aux femmes, l’interruption de grossesse punie de mort, l’adultère aussi selon les circonstances, sauf pour l’homme s’il peut prouver qu’il ignorait la qualité d’épouse de la fautive. Je n’entre pas dans les détails de la distinction sociale, selon qu’il s’agit d’une bourgeoise, d’une poissarde ou d’une esclave, mais même dans ce dernier cas une législation appropriée prévoyait pour l’infraction sa sentence graduée et équilibrée, selon les critères de l’époque évidemment.

Et l’amour, le plaisir, dans tout ça ? D’après l’auteure, « dans le Proche-Orient antique, la femme prend une part active aux jeux du sexe ». Et la littérature érotique liée au mariage sacré insiste sur l’excitation sexuelle de la jeune fille, gage de fécondité heureuse.

Même si la peinture de l’amour et des sentiments est plus rare dans les documents dont nous disposons et le plus souvent évoquée par la métaphore du miel, un recueil de diagnostics décrit des symptômes inamovibles dans les siècles des siècles (P. 233) pour les soupirs, les pâmoisons, la consomption d’amour. De ce point de vue, rien de nouveau sous le soleil.

Jacques Munier

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Revue Le Tigre N°38

http://www.le-tigre.net/

Au sommaire :

— Grégoires, par Marguerite Ronzini

— J’entends bien, par Jérôme L. La novlangue d’une agence de com’

— Un bélvédère sur la voie lactée, par Tony Alice

— Bonjour Le Kremlin-Bicêtre bonjour, par Olivier Gadet avec des photographies de Philippe Poncet

En feuilleton :

— OFPRA : Amertume, par Joël Boulvais

Images :

— Photographies de Leslie Krims

— Butte, Montana, par Julien Donada

— Action, collection de fotonovelas brésiliennes, par Clémentine Mélois

Et les chroniques d’Eric Chevillard, L’Hippopotable, Goria, Antoine Zéo, Killoffer, Placid, Charles Berberian, Simon Roussin, Marie Chéné, Renaud Wattwiller, Gianpaolo Pagni, Aurore Valade & Christian Fusco, Julien Donada, Hélène Briscoe, Yann Kebbi, Franck Stevens, Frédéric Danos, Paul Martin, Rocco, Jean-Paul Lapin, Francis Frog, David Poullard & Guillaume Rannou.

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