Irène Cagneau : Sexualité et société à Vienne et à Berlin 1900-1914. Discours institutionnels et controverses intellectuelles (Septentrion) / Revue Approches N°156 Dossier Stefan Zweig
« Où que je sois et quoi que je fasse, le bon Viennois me regarde » enrageait Karl Kraus en dénonçant le voyeurisme de ses contemporains. Et à propos de l’affaire Eulenburg, ce diplomate devenu le plus proche conseiller de l’empereur Guillaume II, attaqué par une campagne révélant son homosexualité orchestrée par Maximilian Harden, rédacteur en chef de la revue berlinoise Die Zukunft , il écrit dans sa propre revue – Die Fackel – un réquisitoire mordant sous le titre « L’infamie allemande » : « Le scandale public qui apparaît en Allemagne quand deux personnes ont un secret en commun rend célèbre celui qui l’a trahi en premier. Et l’on considère alors l’intrépide qui a ouvert les volets d’une chambre à coucher comme celui qui apporte la lumière. » C’est ce mélange d’indiscrétion et de pudibonderie qui est au cœur des débats autour de la sexualité à l’époque qu’on n’appelait pas encore la Belle Époque. Irène Cagneau en suit les méandres et les éclats chez les écrivains et notamment dans les revues d’avant-garde, celle de Karl Kraus mais aussi Pan , Die Aktion ou Der Sturm .
« Le christianisme a fait boire du poison à Éros : il n’en est pas mort mais il est devenu vicieux », disait Nietzsche dans Par delà le bien et le mal . À bien des égards, dans de tels débats, c’est la critique nietzschéenne du christianisme qui domine du côté des intellectuels. Celui-ci, en faisant peser l’interdit sur la sexualité a développé sous le boisseau une sorte de fascination pour ses manifestations variées, en particulier celles qualifiées de « pathologiques ». À l’époque on discute ferme l’ouvrage du psychiatre Krafft-Ebing destiné au départ aux médecins légistes et aux magistrats mais qui aura un grand succès populaire, la Psychopatia sexualis , où fétichisme, sadisme et masochisme font leur apparition dans la nosologie. Freud, notamment, dans son essai de 1908 sur La morale sexuelle civilisée et la nervosité moderne , lui reproche de négliger le facteur étiologique de ce qu’il appelle la « nervosité », conséquence de la répression morale des pulsions sexuelles. Et au même moment, dans la revue de Karl Kraus, Die Fackel , paraît un article signé Karl Hauer intitulé Pornographie où celui-ci considère que l’homme – je cite « contraint à rester sobre, constamment inhibé par ses scrupules et sa conscience » est entraîné vers « les narcotiques et l’ivresse artificielle », la pornographie étant « un narcotique spécifiquement chrétien ».
« Ces neurologues qui se mettent à nous pathologiser le génie, on devrait leur défoncer la crâne avec ses œuvres complètes », tonne Karl Kraus face à la lecture psychanalytique des œuvres littéraires et artistiques. Ici, Kraus s’en prend aux « fouineurs de l’âme », qu’il assimile au fond aux inquisiteurs de la vie intime, qu’ils soient juges ou journalistes. Ceux qui « veulent ramener toute chose au monde à des causes sexuelles ». C’est là notamment que réside son différend avec Freud. Il vilipende tous ceux qui produisent une « analyse spectrale » plutôt qu’une « synthèse de la lumière ». Les propos concernent la création artistique, mais on retrouve un ton comparable dans ses interventions concernant un autre grand débat de l’époque : celui de la prostitution, qui prend à l’époque des accents foncièrement moraux, notamment avec la Lex Heinze , décrétée par le pouvoir impérial allemand afin de – je cite « combattre pénalement l’immoralité sexuelle dans son ensemble et jusque dans ses moindres détails ». D’une manière générale, les intellectuels s’insurgent contre les articles qui menacent la liberté d’expression et les écrits ou les images « à caractère obscène ». Karl Kraus est l’un des rares à dénoncer l’absence de volet concernant l’aspect sanitaire et la prévention des maladies vénériennes en renvoyant les prostituées à la clandestinité. « Leur prophylaxie c’est l’obscurité – envoie-t-il aux législateurs. Gangrénée par l’hypocrisie l’humanité incurable garde le lit et les médecins prescrivent des traitements à base de mercure. »
Jacques Munier
Revue **Approches ** N°156 Dossier Stefan Zweig
(Que Karl Kraus appelait ironiquement un « Goethe en culotte courte »)
Avec un texte inédit : la préface à un album d’art consacré à son ami le peintre et graveur de style Art Nouveau Lilien dans une traduction de Jacques le Rider, qui signe également une contribution sur sa relation à la pensée d’Hippolyte Taine, à laquelle Zweig avait consacré sa thèse. Deux autres grands traducteurs et passeurs sont également présents : Georges-Arthur Goldschmidt et Jean-Pierre Lefebvre, et Jean Lacoste s’intéresse aux relations de Stefan Zweig avec Romain Rolland
Stefan Zweig – Introduction à E.M. Lilien. Son œuvre (1903)
Traduit de l’allemand par Jacques Le Rider
Stefan Zweig au cœur du monde d’hier
Georges-Arthur Goldschmidt
Zweig dans la Pléiade
Jean-Pierre Lefebvre
Légendes de saint Stefan
Serge Niémetz
‘‘La race, le milieu, le moment ’’ – Stefan Zweig et Hippolyte Taine
Jacques Le Rider
Relations Stefan Zweig-Romain Rolland
Jean Lacoste
Correspondance Stefan Zweig/Joseph Roth 1927- 1938 – Passion et Raison
Philippe Reliquet
Stefan Zweig et le jeu
Anne-Marie Baron
Un soupçon légitime – Zweig : de la fable policière à la tragédie
Alice Contensou
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